Soka Gakkai Internationale (SGI)
Les données contenues dans cette fiche ont été recueillies lors d’une recherche documentaire menée à l’automne 2015 par Frédérique Bonenfant, agente de recherche au CROIR.
Autres appellations
Soka Gakkai (Société pour la création des valeurs); Soka Kyoiku Gakkai (Société éducative pour la création des valeurs,1930-1946); Nichiren Shōshū Soka Gakkai.
Fondateurs
Tsunesaburo Makiguchi (1871-1944) et Josei Toda (1900-1958)
Groupe d’inspiration
bouddhique; Grand Véhicule (Nichiren); néo-bouddhisme japonais; préoccupation sociale
Mission
- Contribuer à la paix, la culture et l’éducation dans le monde entier, sur la base de l’enseignement du bouddhisme de Nichiren Daishonin.
- Contribuer à la paix mondiale en approfondissant et en renforçant les liens entre les citoyens ordinaires des différents pays du monde.
- Promouvoir l’étude et la pratique du bouddhisme de Nichiren Daishonin.
Présence
Mondiale
Nombre approximatif de membres
12 000 000
Description générale
Bref historique
Le développement de ce qu’est devenue aujourd’hui la Soka Gakkai Internationale se résume généralement en trois grandes phases de développement en lien avec leurs dirigeants respectifs : l’époque Makiguchi, l’époque Toda, puis le développement international d’Ikeda.
Tsunesaburo Makiguchi (1871-1944) était enseignant, éducateur et directeur d’établissement scolaire à Tokyo, au Japon. Influencé entre autres par le pragmatisme de John Dewey et le bouddhisme Nichiren[1], il proposa, dans les années 1930, une réforme du modèle d’éducation japonais que l’on retrouve résumée dans son livre Éducation pour une vie créatrice de valeurs. À la parution de cet ouvrage en 1930, et avec l’aide de son fidèle ami Josei Toda (1900-1958), Makiguchi créa la Soka Kyoiku Gakkai (Société éducative pour la création des valeurs), un groupe d’étude pour une pédagogie créatrice de valeurs. Makiguchi revendiquait une éducation au service de la société, basée sur l’expertise des éducateurs et beaucoup plus près des besoins réels des individus. La pratique religieuse propre au bouddhisme Nichiren était considérée comme un complément à la pédagogie proposée.
Bien que 1930 soit reconnue par ses membres comme l’année de fondation de la Soka Gakkai, le groupe d’étude de Makiguchi n’entretenait à ce moment que des liens officieux avec la Nichiren Shōshū, la secte du bouddhisme Nichiren à laquelle s’était converti Makiguchi et Toda deux ans avant la création du groupe. À l’époque troublée d’avant-guerre au Japon, les positions tranchées de Makiguchi et Toda contre la guerre et le shintoïsme d’État leur valurent d’être emprisonnés, et le groupe d’étude fut dissout. Makiguchi mourut de malnutrition lors de son séjour en prison. Après la guerre, c’est son ami Josei Toda qui prit l’initiative de redémarrer le groupe en 1946, cette fois sous l’appellation de Soka Gakkai (Société pour la création des valeurs). L’orientation bouddhiste du groupe devint manifeste sous Toda, alors que le processus de démocratisation du Japon d’après-guerre garantissait dès lors la liberté de religion. Lors de son accession à la présidence du mouvement en 1951, Toda prit l’engagement de convertir 750 000 familles japonaises au bouddhisme Nichiren.
La philosophie prosélyte de l’époque[2] a permis à la Soka Gakkai d’atteindre ses objectifs de conversion à la mort de son président en 1958. Le mouvement représentait alors officiellement la branche laïque de la Nichiren Shōshū, une reconnaissance conditionnelle à l’adhésion de chaque membre au temple local. La Soka Gakkai dépendait entre autres des moines de la Nichiren Shōshū pour les rituels, notamment Gojukai, la cérémonie d’initiation où l’adepte reçoit le gohonzon[3], principal objet de vénération dans le bouddhisme Nichiren.
C’est en 1960, lorsque Daisaku Ikeda (1928-) accéda à la présidence de la Soka Gakkai, que le mouvement s’étendit réellement hors du Japon. Les nombreux voyages à l’étranger d’Ikeda permirent l’essor du mouvement sur plusieurs continents, notamment en Amérique, en Europe et au Sud-est de l’Asie. Tout en restant attaché à la Nichiren Shōshū, Ikeda se concentra cependant sur les visées humanistes du mouvement, misant considérablement sur la mission culturelle, éducative et pacifique de la Soka Gakkai. En ce sens, il réaffirma l’importance de l’idéologie de Makiguchi, cherchant prioritairement à favoriser le bien-être de l’individu dans la société et permettre l’épanouissement de son plein potentiel.
Pour chapeauter l’ensemble des regroupements internationaux en pleine expansion, la Soka Gakkai Internationale (SGI) fut créée en 1975, à l’occasion d’une rencontre sur l’ile de Guam réunissant 51 représentants de partout autour du globe. Les délégués choisirent Ikeda comme premier président de la SGI, poste qu’il occupe toujours. Les premières années de l’organisation internationale furent orientées principalement vers la promotion de la paix et du désarmement. Plusieurs organismes affiliés furent créés, tels que l’Institut Toda pour la paix et une politique prospective (Tokyo, 1996), ou encore le Centre de recherche de Boston pour le XXIe siècle (Boston, 1993). Ikeda initia également une tradition de rencontres avec des intellectuels étrangers, dont plusieurs furent publiés sous forme de dialogues[4]. Le président s’est d’ailleurs révélé un auteur prolifique, et ses nombreux ouvrages ont largement contribué à la diffusion de la doctrine.
Bien qu’elles aient débuté lors de la présidence de Toda, les tensions avec le clergé de la Nichiren Shōshū augmentèrent considérablement sous la présidence d’Ikeda, alimentées entre autres par l’influence toujours grandissante du leader au Japon et sur la scène internationale. La Soka Gakkai faisant preuve d’une autonomie grandissante, même au niveau religieux, le clergé de la Nichiren Shōshū voyait son rôle se réduire considérablement dans la réalité des adeptes de la Soka Gakkai. Les tensions entre la secte et sa branche laïque forcèrent Ikeda à démissionner de son poste de président de la Soka Gakkai en 1979 (mais pas de la SGI) et à renoncer au titre de sokoto, le représentant laïc au sein de la Nichiren Shōshū. Mais le répit fut de courte durée, et la secte décida finalement en 1991 d’exclure la Soka Gakkai, la SGI et tous ses membres à travers le monde. Le schisme fut ressenti durement au Japon, mais à l’étranger cette exclusion eut comme principal effet de priver ses membres de la diffusion du gohonzon traditionnel, copie de l’original conservé au temple Taizeki-ji. C’est par l’entremise d’un bonze réformateur de la Nichiren Shōshū associé au temple de Joen-ji (Sendo Narita) que la Soka Gakkai a pu mettre la main sur un Gohonzon Okatagi[5] transcrit par un grand patriarche (Nichikan Shonin) pouvant servir à l’émission des gohonzons destinés aux membres de la Soka Gakkai. Depuis, l’indépendance de la Soka Gakkai vis-à-vis de la Nichiren Shōshū est totale, leur seul lieu commun étant la diffusion du bouddhisme de Nichiren et la pratique religieuse qui s’y rattache.
La SGI se présente comme une organisation laïque dédiée à l’enseignement du bouddhisme de Nichiren et à la promotion de la paix, de la culture et de l’éducation. Le mouvement possède des groupes dans la majorité des grandes villes canadiennes, y compris Montréal et Québec.
Structure et organisation
L’organisation de la SGI ne comprend aucun clergé, conformément à la structure initiale du mouvement laïc de la Nichiren Shōshū. Elle reste cependant très hiérarchisée.
La Soka Gakkai Internationale est constituée en une ONG qui chapeaute l’ensemble des regroupements nationaux, dirige les campagnes humanitaires internationales et gère les principaux organismes affiliés, tels que l’Université Soka ou l’Institut de philosophie orientale. La SGI gère également les importants fonds financiers constitués à partir des donations des adeptes.
Les regroupements nationaux ne sont pas organisés de manière uniforme à travers le monde, mais sont généralement reconnus comme des associations religieuses et/ou culturelles. Ils sont dirigés idéalement par des représentants locaux et s’adaptent aux lois et coutumes nationales en vigueur. Un regroupement national réunit les représentants des différents districts locaux, qui à leur tour comprennent plusieurs centres. Certaines SG nationales comportent plusieurs départements selon les catégories pertinentes pour leur réalité nationale (genre, sphère d’activité, professions, etc.).
La cellule la plus importante, du point de vue des adeptes, est formée par les groupes qui se réunissent au centre local ou dans la demeure d’un des adeptes. Ces groupes de partage, que l’on appelle les Zads (zandakaïs), offrent la meilleure image de ce que les adeptes nomment « la famille » Soka. Les rencontres hebdomadaires des zads, en plus de constituer un partage de la pratique religieuse, comprennent des sessions de partage de vécu à l’image des groupes d’entraide.
Le gongyo quotidien (matin et soir) comprend la récitation de deux chapitres du Sutra du Lotus et un exercice « d’invocation de la loi », traditionnellement appelé daimoku (« titre »), qui est constitué de la répétition d’un mantra composé du titre du Sutra du Lotus : Myōhō renge kyō. Cette pratique répétitive a pour objectif de modifier l’état subjectif de la conscience et de faire surgir la nature du bouddha en chacun.
Le Gongyo se pratique devant le Gohonzon, un mandala de type calligraphique représentant la vision du monde propre à Nichiren. Les membres de la Soka Gakkai peuvent aujourd’hui recevoir leur gohonzon individuel via leur district local, sans avoir à passer par la cérémonie religieuse exigée par la Nichiren Shōshū.
La Soka Gakkai marque plusieurs dates avec des célébrations religieuses, telles que la naissance de Nichiren Daishonin (16 février), la naissance du bouddha Shakyamuni (8 avril) et la nouvelle année (1er janvier). D’autres célébrations plus laïques viennent commémorer des dates importantes de l’histoire du mouvement, telles que la journée de la Soka Gakkai (3 mai) en l’honneur de l’accession à la présidence des présidents Toda (3 mai 1951) et Ikeda (3 mai 1960), ou encore l’anniversaire de la fondation de la Soka Kyoiku Gakkai le 18 novembre 1930. Les centres locaux peuvent parfois organiser des cérémonies plus traditionnelles, comme la cérémonie japonaise du mariage (san san kudo).
Outre le gongyo, la pratique individuelle implique également l’étude du bouddhisme de Nichiren via la lecture du Sutra du Lotus, de la correspondance de Nichiren ou encore de l’œuvre des fondateurs du mouvement. Les réunions de zads prennent une place importante, tant pour le soutien affectif entre les membres que par les échanges qui permettent de compléter leurs études individuelles. La pratique individuelle sert de tremplin pour générer des transformations sociales, conformément à leur interprétation du concept de kosen rufu. Ces visées sociales, inspirées du bouddhisme (d’abord un monde sans souffrance), sont canalisées et encadrées par les organisations locales, nationales et internationales suivant une charte commune.
La charte de la SGI s’articule autour des grands thèmes chers à l’organisation, soit la qualité de la participation citoyenne, la valorisation de la diversité culturelle, la protection de l’environnement, l’éducation, etc. Le principe d’adaptation aux réalités locales et nationales que promeut la SGI explique la variété observée au sein des différentes organisations, mais les activités organisées restent généralement centrées autour de ces thèmes.
Convictions fondamentales
La Soka Gakkai enseigne un bouddhisme inspiré par le moine japonais Nichiren Daishonin, un réformateur controversé du XIIe siècle. En tant que branche du bouddhisme mahayana (grand véhicule), le bouddhisme de Nichiren reconnaît la présence de la nature du bouddha en chaque individu, et la quête de l’éveil devient accessible à tous. Le bouddhisme de Nichiren se caractérise entre autres par l’importance accordée au Sutra du Lotus, un texte attribué au bouddha Shakyamuni (Siddhārtha Gautama). Nichiren considérait que l’essence de la doctrine du bouddha se retrouvait dans ce sutra et que la simple évocation de son titre suffisait à faire surgir la nature du bouddha inhérente à chaque individu. Cette pratique d’invocation est appelée en japonais daimoku, et est pratiquée par les adeptes du bouddhisme Nichiren quotidiennement.
Le bouddhisme de Nichiren comprend lui-même plusieurs sectes, dont la Nichiren Shōshū (l’école vraie de Nichiren), qui est caractérisée par la distinction qu’elle fait entre le bouddha historique et le bouddha éternel. Comme plusieurs courants du mahayana, les adeptes considèrent que le Sutra du Lotus fut l’œuvre du bouddha éternel, et que Shakyamuni n’était qu’une de ses émanations, un bouddha historique. Les adeptes de la Nichiren Shōshū vénèrent le moine Nichiren comme le véritable bouddha de l’époque mappo[6], au point d’occulter la référence au bouddha historique, ce qui peut passer pour une aberration pour la majorité des traditions bouddhistes.
Le bouddhisme de la Soka Gakkai se présente d’abord comme un bouddhisme laïc, simple, et adapté aux réalités quotidiennes des individus. Il est opératoire, dans le sens où les adeptes considèrent leur qualité de vie en lien direct avec la qualité de leur pratique individuelle.
La foi, la pratique et l’étude sont les trois éléments vitaux de leur bouddhisme. L’étude vise la lecture du Sutra du Lotus principalement, mais aussi de la correspondance de Nichiren et de l’œuvre d’Ikeda. La pratique repose essentiellement sur le Gongyo (« pratique assidue ») quotidien, soit la récitation de chapitres du sutra du lotus et la répétition du mantra correspondant au titre du Sutra du Lotus. La foi touche les résultats positifs de cette pratique, pour soi, mais aussi pour son environnement. On parle d’une pratique centrifuge[7], dans le sens où la transformation individuelle par la pratique constitue la pierre angulaire des transformations sociales auxquelles aspirent les membres. La Soka Gakkai se démarque également par l’importance accordée à l’engagement de ses membres dans la société profane. Les particularités de la pratique propre à la Soka Gakkai font en sorte que l’organisation n’est pas toujours reconnue comme une tradition bouddhiste, bien que ses adeptes en revendiquent l’appartenance.
L’esprit de Kosen rufu (littéralement « diffuser largement ») est également un concept très présent et parfois controversé dans la Soka Gakkai. Il est interprété aujourd’hui comme l’expression de leur idéal de paix mondiale par le bonheur individuel, selon le mécanisme de la pratique centrifuge mentionnée précédemment. Mais le concept peut également référer au devoir social de prosélytisme, que Nichiren lui-même avait exprimé à travers des modèles de conversion agressifs. Cette dernière interprétation du concept sera utilisée parfois par les opposants au mouvement pour le discréditer.
[1] Branche du bouddhisme mahayana (Grand Véhicule) propagé par un moine du XIIIe siècle, Nichiren Daishonin (1222-1282).
[2] Dans la doctrine Nichiren, la propagation des idéaux du bouddhisme (kosen rufu) passe par la méthode de conversion dite shakubuku (conversion antagoniste, littéralement « briser et soumettre »), beaucoup plus agressive que son pendant conciliant, shoju (éduquer et recevoir). La présidence de Josei Toda est caractérisée par ce type de prosélytisme agressif, qui alimenta la controverse, alors que son successeur fera la promotion d’un prosélytisme beaucoup plus conciliant, en particulier concernant les non-bouddhistes.
[3] Mandala calligraphique produit par Nichiren pour résumer la nature du Bouddha.
[4] La révolution humaine et la condition humaine, avec André Malraux (Tokyo, 1976. Éditions Ushio), Dialogue pour la paix, avec Mikhaïl Gorbatchev (Éditions du Rocher, 2001), Bouddhisme et islam, le choix du dialogue, avec Majid Tehranian (Éditions du Rocher, 2004), Persistance de la religion, perspectives comparées sur la spiritualité moderne, avec Harvey Cox (L’Harmattan, 2012).
[5] Copie de bois servant à imprimer les gohonzons.
[6] Dernière des trois ères de l’histoire du bouddhisme, selon certaines doctrines, qui correspond à la « fin du dharma », ou encore la fin du bouddhisme. Plusieurs bouddhistes attendent la venue du bouddha Maitreya pour représenter cette ère, mais la Nichiren Shōshū considère que ce rôle fut rempli par Nichiren au XIIe siècle.
[7] Dobbelaere, 2001, p. 37.
Sites Web
http://www.sgi.org/
http://www.sgicanada.org/
Quelques références
Bethel, Dayle M. Makiguchi le créateur de valeurs, d’après l’original Makiguchi, the Value Creator (1973). Monaco, éditions Du Rocher, 1996.
Cornu, Philippe. Dictionnaire encyclopédique du bouddhisme. Paris, Seuil, 2001.
Dobbelaere, Karel. La Soka Gakkai. Un mouvement laïc de l’École bouddhiste Nichiren devient une religion. Leumann, Elledici (coll. Religions et Mouvements, dirigée par Massimo Introvigne), 2001.
Hourmant, Louis. « La Soka Gakkai, un bouddhisme paria en France », dans Françoise Champion et Martine Cohen, dir. Sectes et démocratie. Paris, Seuil, 1999, p.182-204.
Melton, J. Gordon. Melton’s Encyclopedia of American Religion, 8th edition. Detroit, Gale, Cengage Learning, 2009.
Métraux, Daniel Alfred. The Lotus and the Maple Leaf. The Soka Gakkai Buddhist Mouvement in Canada. Lanham, University Press of America, 1984.
Renondeau, Gaston. La doctrine de Nichiren. Paris, Presses universitaires de France, 1953.