André Couture Université Laval, mars 2020, révisé en mars 2024
Résumé : La fête de Pâques coïncide avec le printemps. On y célèbre la vie plus forte que la mort, ce que symbolisent entre autres les œufs ou les lapins. Pour le chrétien, plus qu’une fête de la fécondité, Pâques renvoie à la victoire du Christ sur la mort.
Même si elle est considérée par les chrétiens comme la plus grande fête de l’année, une fête plus importante même que Noël, beaucoup de nos contemporains ne voient dans la fête de Pâques[1] qu’une façon originale de célébrer l’arrivée du printemps. Cette fête, qui a lieu le 31 mars en cette année 2024, se célèbre en effet pendant la période où les journées rallongent, où la neige commence à fondre, où le soleil se réchauffe, où la nature s’éveille en même temps que les cœurs, une période où les humains ont toujours éprouvé le besoin d’exalter la vie.
Pâques est une fête dite « mobile », c’est-à-dire qu’elle se célèbre à des dates qui varient avec les années, justement parce qu’elle suit le cycle lunaire, qui change d’une année à l’autre. Elle se fête toujours le dimanche qui suit la pleine lune de l’équinoxe du printemps, ce qui veut dire après le 21 mars. En fait, pendant les soixante dernières années, Pâques s’est célébré au plus tôt le 23 mars et au plus tard le 25 avril. C’est au début du IVe siècle que les chrétiens ont pris l’habitude de célébrer Noël le 25 décembre, un peu après le solstice d’hiver lorsque le soleil remonte à l’horizon. Ils assimilaient ainsi implicitement leur dieu à un soleil toujours vigoureux qui réapparaît après avoir semblé disparaître. Il semble que Noël ait peu à peu trouvé sa place au milieu d’autres célébrations comme celles du Sol Invictus, symbole à la fois du « Soleil invaincu » et de l’invincible César de l’Empire romain[2]. Au contraire, la fête chrétienne de Pâques plonge ses racines dans la Pâque juive, une fête célébrée par les Hébreux pour commémorer l’Exode, la sortie d’Égypte par la traversée ou passage (pessah) de la Mer Rouge, et par conséquent leur libération de plusieurs siècles de servitude. C’est pourquoi, contrairement à la fête de Noël qui suit le cycle solaire et a été fixée une fois pour toutes le 25 décembre, la fête de Pâques s’inscrit dans le cycle lunaire qui est celui du calendrier juif et change par conséquent de date selon celle de la pleine lune.
Peu importe la façon dont on l’interprète, la fête de Pâques demeure en toute hypothèse une célébration du printemps, celle de l’époque où renaît la végétation. Pour comprendre le sens de Pâques, on l’a rapprochée de divers mythes ou rites qui ont servi à traduire la victoire saisonnière de la vie sur la mort. À en croire certains historiens, la fête de Pâques aurait peut-être emprunté à celle d’Attis (Atys), une divinité phrygienne dont le culte se célébrait également au printemps et s’était répandu dans toute l’Asie Mineure, puis en Grèce et jusqu’à Rome vers le IIe siècle avant notre ère. Née de la fille d’un dieu-fleuve et d’une amande tombée d’un amandier, élevée par des chèvres sauvages, Cybèle, une divinité de la nature sauvage, s’éprend d’Attis. Frappé de folie, celui-ci finit par s’émasculer, avant d’être tué par Zeus. Il serait ressuscité quelques jours plus tard. À Rome, les fidèles jeûnaient et se lamentaient sur la mort d’Attis, certains allant même jusqu’à s’émasculer comme lui. Puis, après une nuit d’orgie, on célébrait avec joie, dans les mascarades et les banquets, le retour à la vie.
L’habitude de célébrer au printemps une déesse de la fertilité, comme Ishtar en Babylonie ou Astarté chez les Phéniciens, est bien documentée. On dit que même le nom de la fête de Pâques en anglais, Easter, provient du vieil anglais Eostre et serait le nom d’une ancienne déesse de la fertilité jadis vénérée par les Anglo-Saxons. Partout dans le monde, on célèbre au printemps la fin d’une période de mort et d’ensevelissement de la nature, puis, avec le retour de la lumière, l’éveil d’une sexualité, d’abord débridée, mais qui finit ensuite par se soumettre à des normes culturelles précises. On comprend alors que les symboles que l’on retrouve à l’occasion des célébrations de la Pâques chrétienne soient liés à la fertilité. Parmi les plus fréquents, il y a les arbres de Pâques, une tradition d’origine allemande, en fait des rameaux d’où l’on voit poindre des bourgeons et des fleurs et sur lesquels on accroche même des œufs ; des lapins de Pâques, un animal particulièrement prolifique et qui évoque la multiplication de la vie ; également les poules et les coqs de Pâques. Ajoutons qu’à cette occasion, on aime bien manger et boire à des tables décorées de poules ou de lapins en chocolat, un aliment auquel on attribuait des vertus aphrodisiaques.
L’œuf est depuis longtemps lié à la création du monde. On connaît en Inde l’œuf cosmique, qui contient en germe toute la création à venir. La coutume d’offrir des œufs au printemps est antérieure au christianisme : elle connote certainement le renouvellement de la vie. Quand il compare l’espérance à l’œuf qui n’est pas encore le poussin, Augustin (354-430) reprend en fait une thématique ancienne, mais sans lien explicite avec la fête de Pâques[3]. À partir du IVe siècle de notre ère, pendant les quarante jours du carême, il était interdit de manger des œufs, sans que l’on sache l’origine exacte de cette coutume. C’est probablement de cette interdiction faite par l’Église chrétienne, jusqu’au XVIIe siècle, de consommer des œufs pendant le carême qu’est née peu à peu la tradition des œufs de Pâques. La tradition de conserver les œufs pondus pendant le carême, de les décorer, puis de les offrir à Pâques, paraît s’être développée dans les cours royales dès la Renaissance européenne et s’être ensuite diffusée dans les familles bourgeoises. De toute façon, dès le XVIIIe siècle on trouve la coutume de percer et d’évider des œufs avant de les remplir de chocolat liquide et de les décorer. Les œufs multicolores, les œufs en chocolat, les œufs de toute sorte, maintenant fabriqués en usine, se sont peu à peu imposés et sont devenus une source de revenus importante pour les commençants pendant la période de Pâques. Les « œufs de Fabergé », de précieux objets de joaillerie, s’inscrivent dans la même tradition des œufs de Pâques, et témoignent de sa popularité en milieu orthodoxe. Pour célébrer leurs vingt années de mariage le jour de Pâques 1885, le tsar Alexandre III commande à la maison Fabergé un œuf pour sa femme, l’impératrice Maria Federovna. Au fil des années, les artisans joailliers de cette maison auraient finalement ciselé pour l’empereur cinquante-quatre de ces merveilleux œufs, sans compter les nombreuses créations qui en sont issues.
La fête proprement chrétienne commence le dimanche des Rameaux qui ouvre la semaine de la Passion et se termine le dimanche suivant avec la célébration de Pâques. Lors de ce premier dimanche, on célèbre l’entrée triomphale de Jésus à Jérusalem pour y fêter la Pâque juive. Jésus y apparaît, monté sur une ânesse. Les foules l’entourent et hurlent en agitant des rameaux le célèbre cri de victoire « Hosanna ! » (Mt 21, 1-11). Durant la célébration, on lit le récit de la Passion selon saint Luc. Le Jeudi saint rappelle le jour où Jésus a célébré la Pâque avec ses disciples, partageant avec eux le pain et le vin. C’est de là que vient la messe des chrétiens. À la messe, les fidèles reprennent les gestes et les paroles de Jésus lors de ce repas pris la veille de la Passion. À sa recommandation, ils le font « en mémoire de lui ». La cérémonie se termine par un temps de méditation qui peut se prolonger pendant la soirée. Le Vendredi saint est un jour de deuil : c’est à trois heures de l’après-midi que Jésus est mort sur la croix. La liturgie de l’après-midi se célèbre sur un autel vide. On lit le récit de la Passion selon saint Jean. La cérémonie se prolonge par des prières sur le monde et un rite de communion. Aucune célébration durant la journée du Samedi saint. Pendant la soirée ou la nuit qui précède le dimanche de Pâques, les chrétiens se réunissent pour une longue célébration qui comprend d’abord la bénédiction du Feu nouveau, une procession autour du Cierge pascal, le chant de l’Exultet à la louange du Christ-Lumière, une proclamation des principaux textes rappelant les grands moments de l’histoire du salut chrétien, un baptême ou simplement le renouvellement des promesses du baptême, puis une eucharistie particulièrement solennelle chantant la résurrection glorieuse du Christ.
Toute la symbolique de ces festivités reprend celle de la Pâque juive, mais en la réorientant vers le Christ. Jésus se met en marche vers Jérusalem pour célébrer la Pâque selon l’antique tradition des juifs. Il la célèbre le jeudi soir autour d’une table en partageant l’agneau pascal avec ses apôtres, mais en appliquant symboliquement ces gestes à lui-même en évocation de sa mort à venir. Le Vendredi saint, quand Jésus meurt sur la croix, il est l’agneau de Dieu qui libère l’homme de l’esclavage du péché. Finalement, avec la Veillée pascale et les fêtes du dimanche de Pâques, c’est le Christ éternellement vivant, et présent à sa communauté, qui est célébré comme lumière et vie du monde.
Pour célébrer la libération des Hébreux du joug des Égyptiens, Dieu ordonna à chaque famille d’immoler un agneau « sans défaut, mâle, âgé d’un an » (Exode 12, 5). Le prophète Esaïe met en scène le serviteur souffrant qui est comparé à un agneau muet que l’on mène à l’abattoir (Esaïe 53, 7). La tradition chrétienne a toujours considéré le Christ comme le véritable agneau pascal. Pas étonnant que, lors du dîner de Pâques, on ait aussi pris l’habitude dans certains pays de manger du gigot d’agneau. Dans un tout autre ordre d’idée, la veille de Pâques, on rapporte qu’au Mexique, on descend dans les rues et on brûle des images représentant Judas, ou encore que l’on y détruit des piñatas à l’effigie de Judas et qu’on se régale des sucreries qui en tombent, comme pour punir celui qui a trahi le Christ.
La fête de Pâques, qui se célèbre au printemps, réunit les thèmes de la libération de la mort hivernale, de la fécondité retrouvée, de la lumière et de la vie nouvelle. Le chrétien croit que cette libération, cette fécondité et cette lumière trouvent leur sens ultime dans la résurrection du Christ. Une interprétation séculière de cette fête considère qu’il suffit à chacun à cette époque de s’immerger dans la Nature pour retrouver la pleine liberté, redevenir fécond et baigner dans la lumière. Avec toutes sortes d’harmoniques différentes, la célébration de Pâques reste toujours la célébration d’une vie qui demande à être sans cesse renouvelée.
[1] Il est bon de noter que « la Pâque », au singulier, désigne la fête juive annuelle qui commémore la sortie ou exode d’Égypte, tandis que « Pâques » s’emploie au masculin et sans article quand il désigne la fête chrétienne célébrée pour commémorer la résurrection du Christ. On souhaite donc à un chrétien de « joyeuses Pâques », mais on dit d’un juif qu’il a mangé « la pâque », c’est-à-dire l’agneau pascal, et on lui souhaite « une bonne fête de Pâque ». Étrangement, quand il désigne la fête chrétienne, le mot Pâques s’accorde au masculin singulier (Pâques est tard cette année), mais le mot est féminin pluriel quand il est accompagné d’une épithète (de joyeuses Pâques).
[2] Voir l’article « Que sait-on des festivités de Noël ? », sur le site du CROIR, sous l’icône « Fêtes ».
[3] On se reportera au sermon 105 d’Augustin. Je remercie la professeure Anne Pasquier de m’avoir fourni des précisions concernant Augustin, ainsi que d’autres considérations concernant les œufs dans le christianisme.