Il va falloir réviser quelques clichés sur une Amérique peuplée de fous de Dieu : 2019 pourrait être aux États-Unis l’année historique où les « sans religion » s’imposent comme le premier groupe en termes de croyances. Un tournant majeur, mais qui ne fera sans doute pas la une des journaux, toujours plus prompts à mettre en avant les phénomènes religieux. Les statisticiens et démographes, comme ceux du Pew Research Center, ont l’habitude de distinguer les chrétiens en les classant entre protestants évangéliques, protestants traditionnels, protestants noirs et catholiques, du fait des grandes différences sociales entre ces catégories. Les athées, les agnostiques et ceux sans affiliation religieuse sont, eux, réunis sous le label « nones », ou « sans religion ». Ces « nones » représentent près d’un quart de la population américaine. Selon les enquêtes de la General Social Survey, ils étaient 22 % en 2016, soit environ 55 millions d’Américains adultes. La hausse est fulgurante quand on sait que leur part ne s’élevait qu’à 15 % en 1998, et à 8 % en 1990.
Parmi ces « sans religion », les athées purs et durs ne représentent qu’une minorité, à peine plus de 3 % en 2014 selon le Pew Research Center. L’effet de génération joue à plein dans cette vague de sécularisation. « Plus on est jeune, moins on a de religion », résume Denis Lacorne. Selon le Public Religion Research Institute, 40 % des 18 à 29 ans sont ainsi des « nones », quatre fois de plus que dans les années 1980. Aux États-Unis, les statistiques ethniques ne sont pas taboues comme en France. On constate aussi que les Blancs non hispaniques (62 % de la population globale) sont surreprésentés parmi les « sans religion », formant 68 % de ces « nones ». Reste à voir les conséquences politiques. Comme le rappelle le professeur de sciences politiques John Green de l’université d’Akron, les « nones » ne se retrouvent pas chaque dimanche matin dans un même lieu, et ils ne suivent pas tous un même leader comme pour les pratiquants. Aucune grande figure politique américaine, pas même Bernie Sanders, ne s’est d’ailleurs directement adressée aux électeurs athées, en espérant récupérer leurs voix. Mais ce manque de visibilité politique – alors que la droite évangélique est elle très mobilisée sur le plan électoral – ne doit pas faire oublier l’essentiel : le groupe religieux qui croît le plus rapidement aux États-Unis est bien celui des « sans religion ».
Par Thomas Mahler, Le Point, le 19/01/201