Une position


L’innovation religieuse,
un concept pour comprendre les phénomènes religieux contemporains.

 La position du CROIR face aux nouveaux mouvements religieux.

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Une des difficultés récurrentes liées à l’étude des nouvelles religions concerne la définition même de ces soi-disant nouveaux groupes. « Sectes », « groupes sectaires », « nouveaux mouvements religieux », « nouveaux groupes religieux », « nouvelles religions », tous ces termes, fréquemment utilisés tant par les chercheurs universitaires et les médias que par la population en général, suscitent, au plan de la signification, des questions auxquelles il est difficile de répondre de manière critique et objective.

On connaît bien les ambiguïtés liées à l’utilisation péjorative et galvaudée des termes « sectes » et « sectaire ». En effet, la secte connote ici l’idée de danger et véhicule la nécessité de s’en prémunir. Alors que les grandes Églises sont considérées légitimes et produisent des fruits positifs, les sectes deviennent vite illégitimes et n’engendreraient que des effets néfastes chez leurs adeptes. Cette perception, très répandue, ne correspond cependant pas à la réalité des groupes qu’on prétend ici juger. C’est pourquoi les termes « sectes » et « sectaire », même s’ils s’utilisent toujours en certains milieux, sont aujourd’hui rejetés par la plupart des chercheurs dans ce domaine.

Certains ont préféré les termes « nouveaux mouvements religieux » (Eileen Barker, Gordon Melton), « nouveaux groupes religieux » ou « nouvelles religions » (Richard Bergeron). Dans ce cas, c’est souvent le caractère de nouveauté qui pose problème, dans la mesure où cette nouveauté est toujours contextuelle. Les traditions religieuses qui sont considérées nouvelles dans une société donnée ne le sont pas nécessairement dans une autre. Pensons seulement aux traditions asiatiques, qui sont habituellement considérées comme de nouvelles religions en Occident. De même, des groupes comme les témoins de Jéhovah, l’Église de Jésus-Christ des Saints des Derniers Jours, ou encore la franc-maçonnerie sont souvent placés dans cette catégorie, même si tous les trois existent depuis plus de 130 ans et sont bien implantés dans nos sociétés. L’utilisation du terme « nouveau » pour désigner ces groupes peut donc porter à confusion.

La multiplication des structures institutionnelles posent également quelques problèmes lorsqu’on tente de formuler une définition englobante de tous ces groupes et mouvements. Le terme « mouvement » paraît, dans bien des cas, trop vague pour définir certains groupes très structurés et très hiérarchisés, alors que les termes « secte » ou « Église » ne s’appliquent bien souvent pas à des communautés qui se structurent davantage en réseau, ou qui ne comporte pas de système hiérarchique bien défini.


Pour éviter ces problèmes de définition et de catégorisation, les chercheurs du CROIR préfèrent examiner les différents groupes qu’on qualifie de « sectes » ou de « nouveaux mouvements religieux » avec la lunette de l’innovation religieuse. En effet, le problème avec la définition des nouvelles religions, des nouveaux mouvements religieux, ou des nouveaux groupes religieux, vient peut-être du fait qu’on tente de regrouper artificiellement sous ces appellations des groupes très différents les uns des autres, de sorte que la définition très large qu’on en donne ne correspond à rien de précis et trahit plutôt des aprioris infondés. En cherchant une définition des « nouveaux mouvements religieux », on prend pour acquis qu’il existe effectivement un certain nombre de groupes, de mouvements et d’Églises bien définis et facilement identifiables, qui sont « nouveaux », qui comportent un certain nombre de caractéristiques bien précises, et qu’on peut isoler d’un ensemble plus grand qui inclurait, quant à lui, des groupes religieux traditionnels, authentiques, orthodoxes et légitimes (faisant ainsi automatiquement des premiers des groupes nouveaux, marginaux, hétérodoxes ou illégitimes).

Mais dans les faits, cette distinction reste toujours arbitraire et contextuelle. En quelque sorte, on « sectarise » artificiellement certains groupes selon des critères arbitraires qui ne correspondent pas à la réalité que ceux-ci vivent. Parler de « secte », c’est d’abord porter un jugement; lorsqu’on accole l’étiquette « secte » sur un groupe, c’est nécessairement parce qu’on a quelque chose à lui reprocher, rendant ainsi l’utilisation du terme arbitraire et subjective. C’est principalement pour ces raisons que le CROIR ne garde pas de liste des nouveaux mouvements religieux ou des sectes, préférant analyser chaque situation d’innovation religieuse au cas par cas.

Il serait plus juste de dire qu’il existe des groupes religieux ou spirituels qui cohabitent au sein de la société, peu importe leur histoire, leur structure, leur nombre d’adhérents, les croyances qu’ils véhiculent, les pratiques qu’ils imposent, ou alors leur degré d’intégration à une société donnée. Certains de ces groupes sont effectivement plus anciens, alors que d’autres sont de facture plus récente; certains sont d’origine autochtone (ou « pure laine »), alors que d’autres sont d’origine étrangère à la culture de la majorité; certains attirent plus de fidèles que d’autres, certains sont mieux intégrés à la société que d’autres et sont davantage « au diapason » des normes sociales établies; et certains peuvent, de fait, poser plus de « problèmes » (sociaux ou judiciaires) que d’autres et seraient à surveiller d’un peu plus près.

Par contre, ce qui est commun à tous ces groupes, c’est que chacun de ceux-ci innove, à sa manière, au fil des années. Aucune tradition religieuse ou spirituelle, ancienne ou nouvelle, n’y échappe. Ces innovations religieuses peuvent être plus ou moins importantes selon les groupes. Certaines innovations peuvent également se heurter aux normes sociales en vigueur dans la société, entraînant ainsi des conflits plus ou moins grands : des conflits sociaux, des conflits culturels, des conflits judiciaires et légaux.

Plutôt que de parler de « nouvelles religions » ou de « sectes », il paraît donc plus adéquat de parler d’une situation de pluralisme religieux, d’une situation où cohabitent au sein de la société une pluralité de formes religieuses, de groupes, de croyances et de pratiques. Dans ce contexte, l’innovation ne s’oppose pas à la tradition, elle en est une modalité naturelle. Toute tradition religieuse se doit d’innover pour faire face à un monde qui se transforme depuis toujours, sans quoi elle prend le risque de disparaître. Le contexte pluraliste moderne semble cependant particulièrement propice à une multiplication des innovations religieuses, c’est-à-dire une multiplication des changements, des adaptations, des transformations et des réinventions dans le paysage religieux et spirituel de la société d’aujourd’hui, au sein des groupes religieux qui, eux aussi, se transforment, et dans la recomposition des univers croyants des individus. Cette situation peut donner l’impression d’une « prolifération de groupes », mais n’est en fait qu’une évolution et une transformation naturelle de l’univers religieux et spirituel contemporain.

À noter que la distinction entre religion et spiritualité reste peu pertinente à la lumière de l’innovation religieuse. En effet, on entend souvent dire que la religion est synonyme d’abus d’autorité, d’obéissance aveugle, et de mensonge, alors que la spiritualité encouragerait l’authenticité et la quête personnelle. Selon cette interprétation, les religions auraient enfermé la vraie spiritualité dans un carcan, elles l’auraient étouffée. Pour bien des gens, la spiritualité devient alors une habile façon de s’éloigner des Églises et des gourous de tout acabit et de se rapprocher de ce dieu intérieur censé résider en chacun des humains. Quand les gens disent avoir troqué la religion pour la spiritualité, c’est que la religion est devenue pour eux synonyme d’acceptation de dogmes extérieurs, de soumission à des prêtres, tandis que la spiritualité correspond à une recherche personnelle et libre privilégiant le développement de valeurs individuelles, à une quête d’harmonie avec soi-même et avec la nature environnante. Pour les intervenants du CROIR, religion et spiritualité renvoient plutôt à une même quête de sens qui animent les gens et qui peut être perçue différemment d’un individu à l’autre ou d’un groupe à l’autre.

On s’imagine parfois qu’une religion est une sorte de monolithe absolument immuable. Il s’agit d’un point de vue idéaliste, que la notion d’innovation religieuse vient, il nous semble, corriger. Les chercheurs du CROIR voient en effet les religions et les spiritualités comme des recherches de sens à la vie qui, sans cesse, innovent pour faire face à un monde qui, lui aussi, se transforme. Les travaux du CROIR ne visent donc pas à isoler des groupes ou des individus en les étiquetant et en les séparant d’un ensemble religieux plus grand, mais plutôt à analyser des situations d’innovation religieuse à l’intérieur du pluralisme religieux ou spirituel qui caractérise nos sociétés modernes.


Quelques mots-clés guident la position des chercheurs du CROIR lorsqu’ils doivent intervenir dans une situation impliquant de l’innovation religieuse :

  • Une responsabilité à assumer : accepter que chaque individu (on parle ici d’adultes) soit responsable de ses choix de vie et soit fondamentalement libre de joindre un groupe, d’en sortir, d’adopter de nouvelles croyances, convictions et pratiques ou d’en rejeter d’autres. Responsabilité rime ici avec liberté. Pour être tenu responsable de ses choix, il faut d’abord être libre de faire ces mêmes choix et ne pas se les faire imposer.
  • Une ouverture à créer : savoir accepter les différences de l’autre, s’ouvrir à des idées nouvelles, sans s’obliger à taire ses propres convictions et opinions. Accepter la différence n’implique pas que l’on se change soi-même ou que l’on s’efface. C’est plutôt s’ouvrir à l’idée que l’autre peut développer une vision différente des choses qui n’est pas forcément mauvaise. Être ouvert n’empêche cependant pas d’être vigilant et d’user de sens critique.
  • Des liens à maintenir : être en mesure de rester en contact avec ses proches, même si leurs convictions ou leurs opinions en matière de religion divergent des siennes. Faire comprendre aux proches que les sentiments qu’on éprouve à leur égard sont les mêmes malgré les divergences d’opinion. Alimenter la confrontation sur la base d’opinions divergentes mène nécessairement à la rupture. Ce point est fondamental dans le cas de familles dont un membre fait partie d’un groupe religieux.
  • Une législation à respecter : comprendre que les groupes religieux et spirituels, comme tout organisme et tout citoyen, sont régis et soumis à la législation des pays où ils s’implantent. Dans la majorité des pays démocratiques, les lois ne jugent pas les croyances; elles jugent les comportements, les actions et les pratiques. Dans l’impasse, on ne peut que se tourner vers les lois en vigueur dans un pays.

Qui dit innovation dit aussi besoin d’informations, et c’est là un des premiers objectifs du CROIR. Le Centre de ressources et d’observation de l’innovation religieuse de l’Université Laval offre des services d’information, de référence et de formation dans le domaine des croyances en général, des nouveaux groupes religieux et spirituels, et des manifestations d’innovation religieuse à l’intérieur et à l’extérieur du cadre des grandes religions instituées.

En tant que membre d’un centre universitaire faisant partie de la Faculté de théologie et de sciences religieuses de l’Université Laval, le personnel du CROIR favorisent une position de neutralité face aux phénomènes religieux. En ce sens, le CROIR n’est affilié à aucune organisation ou confession religieuse particulière. De même, son personnel ne fait la promotion d’aucun groupe ou courant de pensée religieuse, philosophique ou spirituelle, quel qu’il soit.