Holi, une fête hindoue haute en couleurs

André Couture, Université Laval, 15 mars 2021

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Résumé : Holi est une fête hindoue du printemps, toujours très populaire, qui comprend le premier jour la commémoration de la crémation de l’ogresse Holikâ, puis le jour suivant une sorte de joyeux carnaval où l’on s’arrose avec des poudres colorées ou de l’eau contenue dans des seringues.

Le « Color Me Rad » ou « Color Run » est une course colorée qui aurait été créée à Phoenix (Arizona, États-Unis) en 2012. Il s’agit d’une course de 5 km organisée à des fins caritatives. Les participants revêtent au départ des T-shirt blancs sur lesquels des bénévoles lancent à chaque kilomètre de la poudre colorée à base de fécule de maïs jusqu’à la ligne d’arrivée où a lieu un lancer de couleurs géant qui clôture la fête. Aussi étrange que cela paraisse, cette course un peu folle et au nom étrange est un emprunt explicite à la fête hindoue de Holi[1].

Quoi qu’il en soit, et justement à cause des débordements auxquels elle donne lieu, Holi (holī) est l’une des fêtes hindoues les plus connues en Occident. Elle se célèbre dans toute l’Inde, mais avec peut-être un peu plus de panache en Inde du Nord. Bien que la période de Holi ait tendance à s’étirer sur plus d’une semaine, les principaux rites entourant cette fête se célèbrent en deux jours, soit le jour de la pleine lune qui clôt le mois de phâlguna (le mois lunaire de février-mars) et le premier jour du mois de caitra (mars-avril, prononcer : tchaitra). Il existe en Inde de nombreux calendriers, pour la plupart lunaires, c’est-à-dire fondés sur le cycle de croissance et de décroissance de la lune. Étant donné que les douze mois lunaires font 354 jours et les douze mois solaires 365 jours, ce qui crée à chaque année un nouveau décalage d’environ onze jours, un comité d’experts a proposé au gouvernement indien en 1957 d’ajouter tous les 32-33 mois un mois intercalaire, calculé selon des règles complexes, de façon que les grandes fêtes et les rituels agraires tombent toujours pendant la saison la plus appropriée. Les dates de célébration de Holi permettent de constater que cette fête se célèbre pendant notre mois de mars, ce qui correspond en contexte indien à la fin de l’hiver et au début du printemps : 1er-2 mars (2018) ; 20-21 mars (2019) ; 9-10 mars (2020) ; 28-29 mars (2021) ; 16-17 mars (2022) ; 6-7 mars (2023)[2].

Holi est une sorte de joyeux carnaval qui suppose une réunion préparatoire tenue trois jours avant la pleine lune de phâlguna. Les festivités commencent cependant pour de bon avec la crémation de l’ogresse Holikâ, ce qu’on appelle la « petite fête de Holi », chotī holī, ou encore la « crémation de Holikâ, holikā-dahan). On raconte en effet que le démon Hiranyakashipou reçoit un jour du dieu Brahmâ la faveur de l’invincibilité et en devient si arrogant qu’il cherche à tuer tous ceux qui s’opposent à son absolue domination. Or, son fils Prahlâda s’avère un inconditionnel dévot du grand dieu Vishnou. Incapable de l’empêcher d’exprimer publiquement son amour pour ce dieu, Hiranyakashipou décide de faire périr l’enfant. Pour cela, il demande à sa sœur Holikâ de convaincre l’enfant de s’asseoir sur ses genoux en plein milieu d’un feu de joie. Pour garantir sa sécurité, Holikâ a revêtu, dit-on, des vêtements ignifuges, mais la dévotion de l’enfant pour Vishnou est si forte que ce dieu en personne est intervenu et a fait en sorte que les flammes arrachent ces vêtements du corps de Holikâ pour en recouvrir uniquement le petit Prahlâda. Holikâ est immédiatement consumée dans le feu, de même que Hiranyakashipou, et Prahlâda a miraculeusement la vie sauve. En tant que sœur du démon Hiranyakashipou, cette femme est certainement une démone qui détient des pouvoirs extraordinaires. Mais les interprétations de son intervention varient avec les milieux. On dit parfois que cette femme aurait détenu un pouvoir spécial, celui d’être invulnérable au feu. Elle aurait un jour jeté le jeune Prahlâda dans un feu de joie et Vishnou serait lui-même intervenu pour le sauver. On dit aussi que, prise de compassion pour l’enfant, Holikâ aurait transféré ses vêtements ignifuges sur le jeune Pralâhda au risque d’être elle-même brûlée. Quoi qu’il en soit, pour les dévots de Vishnou, l’essentiel c’est que Vishnou lui-même soit intervenu pour épargner la vie de Prahlâda et finalement tuer Hiranyakashipou, en administrant aux yeux de tous la preuve que c’est la dévotion au grand Vishnou qui accorde le salut. C’est pour commémorer ce haut fait qu’on allume en Inde un bûcher commémoratif dans lequel on brûle une effigie de la démone Holikâ, que l’on conspue l’ogresse à coups de chansons grivoises et qu’on allume partout des feux d’artifice. En dansant autour du feu et en chantant ces chansons, les hindous célèbrent d’abord la victoire du bien sur le mal, celle de la dévotion sur la mécréance.

Le lendemain, c’est-à-dire lors du premier jour du mois de caitra, a lieu la deuxième partie de la fête, qui porte entre autres le nom de Rangwali Holi (raṁgvālī holī), la Holi de toutes les couleurs, ou simplement la Fête des couleurs. Les poudres utilisées sont censées provenir des cendres de la démone Holikâ. On confectionne des mets particuliers pour l’occasion. C’est aussi le moment où l’on offre un sari spécial aux épouses nouvellement mariées. Mais on ne prévoit pas d’autres rites religieux. L’essentiel de cette journée de fête consiste pour tous, hommes, femmes et enfants, à commémorer ce joyeux événement en « jouant Holi » (holī khelnā). Chacun rivalise d’ingéniosité et d’adresse pour lancer sur les autres des poudres de différentes couleurs ou encore pour les arroser avec de l’eau colorée à l’aide de petites seringues achetées spécialement pour l’occasion. En fait, en cette journée de plaisir et de liberté, toutes les règles sont levées. On n’a même plus besoin de respecter les normes hiérarchiques entre les individus (parents et enfants, frères et sœurs, aînés et cadets, différences de caste). Dans certaines régions, on boit un lassi spécial (boisson traditionnelle à base de yogourt) avec du chanvre (bhāṁg). Pour justifier cette journée, on évoque le temps des amours de Krishna avec les bouvières de la région de Mathurâ et en particulier avec Râdhâ sa préférée. On danse avec Râdhâ, la bien-aimée de Krishna. On recrée le temps d’une journée une sorte de monde idéal, avant que chacun retourne le lendemain à sa vie bien réglementée. On est si conscient d’enfreindre des limites que, tout en s’arrosant légèrement ou copieusement de couleurs, on demande à la personne visée de ne pas se fâcher car c’est Holi. Holi est une fête de printemps comportant une vaste mise en scène du passage du chaos de la fin de l’année agraire à une remise en place d’un nouveau printemps.

Pour en savoir davantage, en plus des innombrables présentations de Holi sur internet, on pourra consulter les travaux suivants :

- McKim Marriot, « The Feast of Love », dans Milton Singer, Krishna : Myths, Rites, and Attitudes, Chicago, The University of Chicago Press, 1966, p. 200-212 et 229-231.

- A. Whitney Sanford, Growing Stories from India. Religion and the Fate of Agriculture, Lexington, The University Press of Kentucky, 2012, en part. p. 76-78, 121-160.

[1] Il est possible que le nom « Me Rad » ait été inspiré par la célèbre chanson de Holi, « Holi khelunga main radha tera sang », « Je célèbrerai (jouerai) Holi avec ta Radha », Radha étant la bien-aimée du dieu Krishna.

[2] Beaucoup d’Indiens fêtent le Nouvel An occidental du début du mois de janvier. Mais suivant les régions, plusieurs fêtes traditionnelles jouent en fait le rôle de célébration de début du cycle annuel. Holi est l’une d’elles, puisqu’elle tombe le premier jour de mois de caitra, qui marque le début du calendrier lunaire.


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