Lien vers la chronique radiophonique sur le sujet,
à l’émission Québec Réveille sur les ondes de CKIA fm 88,3
Depuis quelques années, il est fréquent d’entendre des commentaires qui remettent en question l’authenticité d’événements qui ont marqué l’actualité internationale : assassinat de JF Kennedy en 1963, premiers pas d’humains sur la lune en 1969, attentats-suicides du 11 septembre 2001… Des personnalités publiques qualifient également de « fake news » certaines informations à leur sujet dans les médias. Mais croiriez-vous que plusieurs sont encore profondément convaincus que la Terre est plate et qu’il existe un complot mondial pour taire cette réalité ?
Les 15 et 16 novembre 2018 s’est tenue à Denver (Colorado) la deuxième conférence internationale de la Terre plate (Flat Earth International Conference, FEIC). Les 650 personnes présentes à cette occasion provenaient dans l’ordre d’Amérique du Nord, d’Europe et d’Amérique latine. Un autre grand rassemblement des « platistes » hispanophones eut lieu à Barcelone en janvier 2019. Les participants étaient de nouveaux convertis, la plupart aussi récemment que 2015. Le scénario de conversion se résume habituellement à une remise en question du modèle copernicien, supposément le produit d’une corruption des élites, puis à une adhésion d’abord prudente à la thèse platiste avant d’en arriver à une adhésion inconditionnelle. Il ne faudrait pas s’imaginer que la FEIC forme un groupe homogène : on y rencontre des platistes chrétiens, laïques, athées, véganes, etc. Plusieurs convertis disent s’appuyer sur la bible ; d’autres arrivent à cette conclusion en dehors de toute recherche liée à une religion ou à un groupe quelconque. À cette diversité s’ajoutent des indécis, des gens séduits par la thèse platiste mais qui n’en sont pas encore certains.
Si les participants à la deuxième FEIC sont de nouveaux croyants, la thèse de la Terre plate, elle, est plus ancienne. Le livre Flat Earth : The History of an Infamous Idea de Christine Garwood tente d’en refaire l’histoire. Contrairement aux idées reçues, le Moyen-Âge ne croyait pas que la Terre était plate. En Occident, la conviction d’une terre sphérique remonte à l’Antiquité. On a parfois fait de Christophe Colomb un hérétique parce qu’il envisageait de faire le tour du monde, mais il s’agirait d’une légende créée à l’époque moderne par des anticléricaux. C’est l’Anglais Samuel Rowbotham (1816-1884) qui a le plus contribué à la promotion de l’idée de la Terre plate. Après avoir effectué des expérimentations censées démontrer la platitude de la terre, il a rédigé sous le pseudonyme de Parallax un ouvrage qui a connu plusieurs rééditions, Zetetic Astrology : Earth Not a Globe (1865). Il y soutient que la terre est plane et immobile. Le pôle Nord serait le centre de cette terre, bordée tout autour d’un mur de glace. Après être tombée dans l’oubli, l’idée refit surface en 2010 avec le lancement de la « Flat Earth Society ». Selon Garwood, la croyance contemporaine à la Terre plate est le résultat de deux phénomènes. Il s’agit, d’une part, de l’interprétation littérale de certains textes bibliques, notamment dans certains courants protestants et, d’autre part, de l’exacerbation du conflit entre la religion chrétienne et les théories scientifiques qui remettent, par exemple, en question l’authenticité de la Bible. À Denver, certains conférenciers ont établi un lien entre la Bible et la croyance à la Terre plate. Dans une allocution intitulée « Testing the Globe : A Zetetic Investigation », un conférencier affirme que la Bible serait un livre totalement platiste. On comprend alors que l’on puisse en arriver à déclarer sur YouTube : « J’ai trouvé Jésus grâce à la Terre plate ».
Plusieurs des participants à ces conférences se disent victimes d’un complot de la part d’élites politiques et intellectuelles tellement corrompues qu’elles en seraient venues à nier cette évidence. Selon ces défenseurs du platisme, le système d’éducation moderne jouerait un rôle central dans la perpétuation du mythe de la terre sphérique. De telles croyances seraient nouvelles et auraient été imposées à des enfants incapables de s’y opposer. Ces participants ne rejettent pas la démarche scientifique, convaincus qu’ils sont que la curiosité intellectuelle et l’esprit critique sont au cœur de la démarche platiste. Plutôt que de nous laisser dominer par ce que raconte une fausse éducation, nous devrions faire davantage confiance à nos sens et à ce qu’ils nous disent de la réalité, affirment-ils. Cette approche globale est pour eux une façon de reprendre le contrôle de leur vie. Le platisme apparaît comme une idée simple et absolument fondamentale. Ceux qui le défendent ont la profonde conviction de comprendre ce qui échappe encore à une bonne partie de l’humanité et de se battre au nom d’une grande cause, celle de faire connaître la « vérité » au monde.
La majorité des participants ont découvert la thèse de la Terre plate à travers les médias sociaux qu’à leur tour ils investissent afin de faire connaître la vérité au monde. Créé en juin 2016, le groupe Facebook Official Flat Earth & Globe discussion compte près de 115 000 membres. Ce groupe très actif est impliqué dans un projet de distribution de matériel sur la Terre plate dans le monde scolaire. Ce projet a pour objectif d’encourager la formation d’équipes de discussion où les élèves pourront débattre des thèses relatives à la Terre plate. Ce même groupe promeut des activités de diffusion dans les rues des idées touchant la Terre plate. Le travail de rues vise à créer une masse critique d’adhérents convaincus. Au cours de la FEIC de 2018, un atelier sur le thème « Flat Earth Activism » a été donné. La chaîne YouTube joue aussi un rôle majeur dans la diffusion de la thèse platiste grâce à de nombreuses célébrités qui ont leurs propres chaînes et qui sont suivis par des milliers d’abonnés.
Les enquêtes révèlent que la thèse platiste est davantage répandue chez les jeunes. 34 % des 18-24 ans doutent que la Terre est à peu près sphérique contre seulement 6 % chez les 55 ans et plus. Si les gens de plus de 65 ans ont plus tendance à diffuser des fake news, les jeunes ont davantage tendance à croire aux thèses du complot. 28 % des 18-24 ans croient à cinq théories complotistes ou plus, alors que, chez les 65 ans et plus, le chiffre tombe à 9 %. Symptôme d’un sentiment d’exclusion qui génère une méfiance face aux institutions ? Si l’on pense que, derrière les classes dirigeantes, se cache un « Nouvel Ordre Mondial », il n’est pas surprenant d’en arriver à penser que si le monde ne tourne pas rond, c’est que la Terre est plate !
Pour en savoir plus :
Christine Garwood, Flat Earth : The History of an Infamous Idea, Londres, Macmillan Publ. (Pan Books), 2014 [2007].
Jean-François Mayer, « Les nouveaux croyants de la Terre plate », Religioscope, Études et Analyses, n° 42, déc. 2018, https://religion.info/pdf/2018_12_Mayer_TerrePlate.pdf, consulté le 8 décembre 2018.