La fête bouddhique de Vesak

André Couture, Université Laval, révisé le 26 avril 2024

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Les bouddhistes célèbrent ordinairement ensemble la naissance, l’éveil (nirvāṇa) de même que l’extinction totale et définitive (parinirvāṇa) de leur maître lors de la pleine lune du mois lunaire de vaiśākha, un mois qui chevauche ceux de mai et juin du calendrier grégorien. Alors que partout en Asie, on commémorait jusque-là sans faste et sans unité ces moments importants de la vie du Bouddha, c’est en 1950, lors d’une première réunion tenue à Colombo (Sri Lanka), que l’Organisation mondiale des bouddhistes[1] encouragea les pays du monde entier à faire du jour de la pleine lune du mois de vaiśākha un jour férié de célébration à l’exemple de ce qui existait déjà au Népal.

On donne à cette fête le nom de « Vesak » ou « Wesak », ce qui est la prononciation locale de vaiśākha. On en parle aussi comme de la « Buddha-Pūrṇimā », c’est-à-dire la « Pleine lune du Bouddha ». Dans la plupart des pays où vivent des bouddhistes, y compris en Chine, en Indonésie, aux États-Unis et au Canada, la célébration a lieu en mai avec des variations qui dépendent du moment de cette pleine lune. C’est ainsi que Vesak se célébrera le 25 mai 2024, mais l’a été précédemment le 26 mai 2021, le 16 mai 2022, le 5 mai 2023. On notera qu’au Japon et dans d’autres pays de tradition mahāyāna (Grand Véhicule), on célèbre ces trois moments de façon séparée : la naissance du Bouddha le 8 avril (Kanbutsu-e), son éveil le 8 décembre (Rohatsu), et sa mort ou parinirvāṇa en théorie le 15 février (et seulement dans certains monastères)[2].

La célébration des fêtes bouddhiques comme celle de Vesak montre que le bouddhisme n’est pas seulement une philosophie ou une spiritualité. Comme dans toutes les religions du monde, on y accomplit des rites concrets susceptibles de faire prendre conscience à ceux et celles qui suivent l’enseignement du Bouddha Gautama des liens qui les unissent et de renforcer ainsi la cohésion de leur communauté. « La prise du triple refuge » est une formule rituelle qui accompagne la vie de tout bouddhiste. Lorsqu’il la répète pour la première fois, l’adepte affirme qu’il se réfugie à jamais en celui qui a un jour fait l’expérience de l’éveil (buddha), en son enseignement (dharma) et en sa communauté d’adeptes (saṅgha) et qu’il fait désormais partie de cette communauté spécifique de fidèles. La vénération d’objets qui se réfèrent au Bouddha (comme des reliques de son corps) est un autre de ces rites. Les bouddhistes sont également encouragés à faire des pèlerinages aux lieux que le Bouddha a purifiés de sa présence terrestre, comme Lumbinī pour la naissance, Bodhgayā pour l’éveil, Vārāṇasī pour le premier sermon, Kuśinagara pour son décès.

Les moines et moniales bouddhistes se réunissent régulièrement quatre fois par mois le jour de l’uposatha ou posatha (sanskrit upavasatha). À l’origine, le terme signifiait « jeûne » et s’appliquait en Inde ancienne au jeûne que l’on devait pratiquer pendant la journée précédant certains sacrifices. Les bouddhistes ne célèbrent pas de sacrifices à proprement parler mais utilisent ce même vocabulaire. À l’intérieur du mois lunaire, l’uposatha en vint à désigner quatre moments précis : la nuit qui précède la nouvelle lune, la huitième de la quinzaine claire, celle qui précède la pleine lune et la vingt-troisième de la quinzaine noire, bien que ce même mot, abrégé en poya, soit réservé au Sri Lanka aux festivités du jour de pleine lune. L’uposatha désigne donc habituellement les pratiques liées à ces quatre journées mensuelles où les bouddhistes se réunissent pour réfléchir à l’enseignement bouddhique et honorer leur maître. Deux fois par mois (à la nouvelle et à la pleine lune), cette célébration est toutefois plus solennelle : les moines écoutent alors la récitation d’un formulaire de discipline monastique, confessent leurs fautes et reçoivent une pénitence appropriée. Les laïcs bouddhistes, hommes et femmes, profitent de ces journées pour ajouter à leur routine quelques pratiques particulières comme de s’abstenir de toute nourriture après l’heure de midi, de tout divertissement (musique, danse, spectacles, de tout ornement (guirlandes, parfums, etc.). C’est lors de l’une de ces pleines lunes, celle du mois lunaire de mai-juin (vaiśākha), que les bouddhistes célèbrent Vesak.

Ce que commémorent tous les bouddhistes depuis 1950 en cette grande journée de célébration, ce sont trois moments importants de la vie du Bouddha Gautama, surnommé Siddhārtha, un titre qui signifie « celui qui a atteint son but ». La vie du futur Bouddha (ou Bodhisattva) ne commence pas dans le sein de sa mère. Celui-ci aurait connu plusieurs centaines d’existences passées à l’occasion desquelles il aurait pratiqué toutes sortes de grandes vertus comme le don, la compassion, la patience. Ce qui est particulier, c’est que ce Bodhisattva, en naissant dans le nord de la péninsule indienne (actuel Népal) dans la lignée des Gautama/Gotama, en soit arrivé à sa dernière existence, celle où il a connu l’éveil en même temps que l’extinction de tous les désirs mondains (nirvāṇa). En effet, ce futur Bouddha est né près de Kapilavastu dans l’actuelle Lumbinī, d’un père nommé Śuddhodana et d’une mère du nom de Māyā. Il aurait été conçu sans souiller le sein de sa mère et tout l’univers s’en serait réjoui. Après une grossesse merveilleuse, on dit même que, contrairement aux femmes ordinaires, Māyā aurait accouché debout, que l’enfant serait sorti de son corps par le flanc droit et que même les plus grands dieux auraient accouru du ciel pour l’accueillir dans la plus grande joie.

À 35 ans, après avoir quitté la vie princière qu’il avait vécue jusque-là et avoir recherché pendant six années la vérité auprès de divers maîtres, Gautama se serait arrêté à Gayā (devenue depuis lors Bodhgayā) sous un figuier ou pipal et serait parvenu à l’éveil (bodhi). Pour y arriver, il a dû passer successivement par quatre niveaux de méditation et acquérir entre autres la connaissance de ses propres existences antérieures et de celles de tous les êtres. C’est précisément le moment où le Bodhisattva ou futur Bouddha est devenu le Bouddha, l’Éveillé, un titre qui renvoie à l’expérience extraordinaire qu’il aurait alors faite. Il avait enfin « éteint » le feu des désirs qui le dévorait comme il dévore tous les êtres vivants selon les croyances bouddhiques. C’est précisément ce qu’on appelle le nirvāṇa, l’extinction.

Le troisième moment important que l’on célèbre lors de Vesak est celui de la mort du Bouddha. La tradition unanime affirme que le Bouddha avait alors atteint 80 ans. Il s’agit de ce qu’on appelle le parinirvāṇa, c’est-à-dire l’extinction totale et définitive du Bouddha. Alors qu’il avait atteint l’extinction lors de l’éveil à 35 ans, le Bouddha a continué à vivre en son corps, à vivre complètement dégagé de tous les soucis de ce monde et à répandre son enseignement dans le nord de la péninsule indienne. C’est à ce moment qu’il s’est arrêté dans le petit village de Kuśinagara en raison d’une dysenterie, et qu’il a glissé insensiblement dans un monde de silence, que les bouddhistes ne cherchent pas à décrire davantage.

Ce que l’on célèbre à cette date conventionnelle de Vesak, c’est donc à la fois la naissance, l’éveil et l’extinction totale et définitive du Bouddha Gautama. Il s’agit en quelque sorte de trois moments qui expriment l’essentiel de ce qu’est ce personnage pour ses adeptes.

Vesak se situe dans le prolongement de l’upasatha de la pleine lune, une sorte de « dimanche bouddhique ». Il s’agit d’une célébration de pleine lune plus importante que toutes les autres, plus haute en couleurs. Dans le contexte d’un bouddhisme qui, au milieu du vingtième siècle, cherchait à se définir parmi les grandes religions, la célébration de Vesak veut souligner le fait que le bouddhisme tient une place importante aux côtés du christianisme qui célèbre également au printemps la fête de Pâques. Les pratiques encouragées à cette occasion vont des rites traditionnels de vénération des images et de l’arbre de l’éveil jusqu’à l’échange de cartes de souhaits. Les images du Bouddha sont ornées de fleurs et d’autres décorations. Un certain nombre de bouddhistes se rendent au temple ou au monastère. Au Sri Lanka, on hisse des banderoles, on allume des milliers de lampions, on distribue gratuitement de la nourriture, on organise des spectacles de rue où l’on met en scène les événements importants de la vie du Bouddha. De pieux laïcs parent leur maison de lanternes, s’habillent de vêtements blancs, participent à des processions. Dans tous les milieux bouddhiques, il est particulièrement méritoire à cette occasion d’accomplir diverses actions caritatives comme de faire des dons aux moines et aux moniales. On peut aussi aller écouter les moines psalmodier des sūtra (sutta) ou sermons du Bouddha. Dans certains milieux on relâche des oiseaux comme pour symboliser l’ultime libération. Une façon de commémorer la naissance du Bouddha typique du bouddhisme du Grand Véhicule (Chine, Japon) consiste à asperger d’eau parfumée une statue du Bouddha. L’eau qui a touché le corps du futur Bouddha est alors récupérée et distribuée aux fidèles. Elle sert à purifier des conséquences néfastes des actes, à écarter la maladie et à prolonger la vie.

[1] World Fellowship of Buddhists. Cette association, qui regroupe actuellement 35 pays et siège à Bangkok, a été fondée en 1950 par le diplomate sri-lankais Gunapala Piyasena Malalasekera dans le but de promouvoir le bouddhisme et d’assurer l’unité et la fraternité entre ses adeptes. La première rencontre réunissait 27 nations et eut lieu à Colombo au Sri Lanka.

[2] Comme le Japon est passé en 1873 avec l’ère Meiji du calendrier luni-solaire chinois au calendrier grégorien, la date de ces fêtes est fixée selon ce dernier calendrier. La fête japonaise est aussi considérée comme une célébration du printemps.


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