Le Petit Robert définit un mouvement comme une « action collective (spontanée ou dirigée) tendant à produire un changement d’idées, d’opinions ou d’organisation sociale »[1]. Bien que le terme de mouvement (surtout au pluriel) en soit venu récemment à être utilisé comme synonyme de groupes religieux spécifiques, il correspond d’abord à un changement de position dans la façon dont les gens se situent face au religieux, et peut englober des groupements diversifiés qui ont en commun de se construire sur des valeurs religieuses partagées et de se mobiliser pour résoudre un même problème perçu ou ressenti. Le phénomène de la multiplication des nouveaux groupes religieux ou spirituels correspond globalement à un mouvement de ce type. On parle également du mouvement du Nouvel Âge pour désigner l’ensemble des réseaux où puisent à la carte les spirituels d’aujourd’hui. Comme ces grands mouvements religieux se sont le plus souvent définis dans le passé en opposition à la religion établie, il n’est pas étonnant qu’on les associe à de la nouveauté. Plus précisément, l’expression « nouveaux mouvements religieux » découle des travaux du projet « New Religious Consciousness » de Glock et Bellah au début des années 1970, qui se proposaient de mieux faire comprendre la spécificité des mouvements de la contreculture de l’époque. Des sociologues comme Eileen Barker et Gordon Melton ont beaucoup contribué à accréditer l’expression, qui permet d’éviter des termes tels que « cult » en anglais ou « secte » en français, jugés péjoratifs et impuissants à rendre justice à la complexité de ces mouvements.
Religion, secte, nouvelle religion…
Plusieurs personnes se demandent quelle est la différence entre une religion, une secte, une nouvelle religion et un culte. Donner une définition, c’est déjà poser un jugement. On peut aussi dire comme Jean-François Mayer que « la secte c’est l’autre ». Les appellations que l’on utilise pour décrire le phénomène des nouvelles religions informent souvent plus sur celui qui parle que sur ce dont on parle. Prenons l’exemple du mot secte.
Alors que les spécialistes de l’étymologie considèrent que ce mot vient du latin sequi qui veut dire « suivre », les gens le rattachent spontanément au verbe secare au sens de « couper ». Si l’on parle de coupure, c’est que l’on suppose que quelqu’un s’est détaché d’un ensemble plus vaste dont il devrait faire partie et qui, dans le cas du Québec, est l’Église catholique. C’est pour cette raison que l’on dit que le mot secte a une connotation « ecclésiocentrique »; on ne parle de secte qu’en référence à une Église. On le voit très bien dans le discours des théologiens fondamentalistes : les sectes y sont de fausses révélations qui menacent l’intégrité de la société chrétienne. Il est intéressant de mentionner ici que l’Église du Temple du Peuple de Jim Jones ne fut cataloguée comme secte qu’après la tragédie de 1978. Avant le suicide collectif, on avait une image positive de ce groupe : son dirigeant avait même participé à des campagnes électorales américaines aux côtés de l’ex-président de l’époque.
Il en va de même pour l’appellation de « nouvelle religion ». Dans un contexte aussi particulier que celui du Québec, toute religion qui n’est ni catholique, ni juive, ni anglicane est aussitôt perçue comme une nouvelle religion. On sait pourtant très bien que les Mormons existent depuis près de deux cent ans, que les Baptistes sont apparus il y a plus longtemps encore, et que les Dévots de Krishna se rattachent à une authentique tradition hindoue du XVIe siècle avec il est vrai certaines concessions aux valeurs du néo-hindouisme. La nouveauté vient du fait que l’on retrouve ces groupes depuis seulement trente ans dans le panorama religieux québécois. Le vocabulaire reflète donc les préoccupations de celui qui l’utilise et, même chez les chercheurs qui en sont conscients, il peut être difficile de dépasser une certaine subjectivité.
Pourquoi parler de « nouvelles religions » ?
Les nouvelles religions sont « le produit de l’activité culturelle normale d’un peuple dans une société libre » (J. Gordon Melton); elles sont aussi « des déclinaisons possibles de nouvelles formes religieuses dans le cadre général de la désinstitutionalisation et de la recomposition religieuse » (Danièle Hervieu-Léger). Nous sommes en présence de solutions théologiques adaptées à un nouveau contexte, qui permettent à un individu de mener sa propre quête d’identité.
Au Québec, depuis la fin des années 1940, toutes les facettes de la société ont connu d’importantes transformations. La population s’est diversifiée, et l’on compte maintenant deux fois plus d’immigrants d’origine asiatique qu’en 1960. Les individus sont plus scolarisés, le taux de fréquentation de l’université pour les 20-29 ans a doublé pendant la même période. Nous sommes collectivement plus riches : le PIB a doublé tout comme le revenu personnel réel et l’épargne. Cet enrichissement s’est accompagné d’une augmentation du temps libre et d’un développement marqué de la vie associative. Les maisons s’équipent de plus en plus d’appareils à haute technologie comme le téléviseur ou l’ordinateur. Le citoyen québécois a vu son environnement et son style de vie se transformer. Vivant dans un univers plus complexe et plus diversifié, l’individu est devenu en quelques décennies un consommateur à géométrie variable, plus averti, plus pragmatique, moins fidèle et plus versatile : en quelque sorte un chasseur-cueilleur de l’ultramodernité.
L’espace religieux s’est aussi modifié, on voit maintenant circuler des biens symboliques adaptés à la culture de masse. À la suite de la disparition des monopoles des grandes Églises, le marché religieux s’est fragmenté et spécialisé. L’univers des croyances a éclaté, on assiste à la recomposition et à la reconfiguration des contenus et des trajectoires de sens. Le « religieusement correct » est devenu une spiritualité privée, sans cadre institutionnel, destinée à l’épanouissement personnel et validée par une expérience intime qui libère l’humain de ses limites. L’individu est devenu son propre sauveur : je dirais que l’on est passé du « Christ en croix » au « Christ en moi ». Le salut s’est fait séculier et mondain, un salut qui doit se réaliser ici et maintenant. Paradoxalement, l’individu moderne recherche le contact direct avec l’Ultime; il utilise à cet effet des techniques qui valorisent le corps et lui font vivre une émotion « transcendantale ».
Même si la majorité des gens composent eux-mêmes leur univers religieux, il existe encore un nombre relativement important (± 20 %) de personnes qui entendent inscrire leur quête de sens dans un cadre religieux. Rappelons que nous retrouvons moins de 2 % de la population dans les groupes répertoriés au nombre des nouvelles religions. Les nouvelles religions deviennent alors des institutions qui regroupent un petit nombre d’explorateurs religieux qui se sont engagés volontairement dans une quête spirituelle qui transforme leur vie. Cet engagement est ce que nous nommons une conversion. En ce sens, la conversion est une resocialisation de l’acteur social qui réorganise son identité de façon plus ou moins radicale. La conversion à une nouvelle religion s’inscrit à mon avis dans cette quête d’identité contemporaine, elle est d’abord un cheminement identitaire.
Des airs de famille
Les nouvelles religions sont autant de nouvelles solutions théologiques offrant une cohérence inédite, un code de sens original; ce sont autant de façons de déchiffrer un ordre derrière les hasards et les désordres de la société. Dans cet ensemble de solutions théologiques, on peut repérer des tendances qui sont révélatrices des mythes modernes les plus courants et qui utilisent les mots du jour pour expliquer le monde. Afin de faciliter le repérage de ces tendances, on propose ici un regroupement en quatre familles correspondant à quatre des grands mythes contemporains. On nommera ces familles en fonction de leur principal lieu de référence ou de légitimation, soit le christianisme, l’Orient, la science et l’ésotérisme.
La famille chrétienne est constituée des groupes qui se réfèrent au mythe fondateur du monde occidental : celui du christianisme. Pour ces groupes, la Bible constitue le livre sacré de base, auquel peuvent s’ajouter des révélations censées la compléter ou des développements théologiques proposant de nouvelles interprétations de son contenu. Les nouveaux messages, qui reposent toujours sur l’établissement de relations avec Dieu, se veulent mieux adaptés à un nouveau contexte. On présente par exemple Jésus comme un superhumain ou on interprète la vie sur terre et après la mort comme les étapes d’une progression spirituelle. Cette famille, qui est la plus importante en nombre au Québec, est surtout connue par des groupes comme les Témoins de Jéhovah, l’Église de l’Unification, les mouvements pentecôtistes et baptistes, les Saints des Derniers Jours ou Mormons.
Dans la famille orientale, on puise principalement aux grands textes religieux de l’Inde, de la Chine et du Japon. Les groupes de cette famille, qui sont souvent des bourgeons occidentaux de traditions typiquement orientales, favorisent le développement spirituel de la personne en privilégiant une démarche intérieure. Dans la majorité des cas, cette démarche se veut pragmatique. Ces religions proposent aussi une vision du monde où l’univers est souvent présenté comme une conscience avec laquelle nous pouvons communiquer. Les groupes les plus connus au Québec sont l’Association internationale pour la Conscience de Krishna, Eckankar, l’Aumisme, les Brahma Kumaris, la Soka Gakkai, le Falun Gong, et ils recrutent beaucoup moins d’adhérents que la famille chrétienne.
La famille scientiste fait plutôt une lecture scientiste du monde spirituel. Cette lecture est le résultat d’une sacralisation de la science, une des tendances caractéristiques de nos sociétés modernes. Dans cette famille, la science en vient à prendre le relais de la religion comme source de légitimation sociale. On propose dans ces groupes un développement du potentiel humain grâce à une approche empirique du surnaturel où l’on est invité à utiliser au maximum sa raison. Les groupes les plus connus de cette famille sont le mouvement raëlien et l’Église de scientologie. Cette famille est la troisième en importance après la famille orientale et la famille ésotérique.
Il y a finalement la famille ésotérique qui proclame d’emblée l’unité transcendante des religions. Cette famille offre une démarche spirituelle qui propose de découvrir, derrière la façade apparente des choses, un réseau de signes révélateurs d’un cosmos vivant auquel participe l’être humain. En décryptant ce message, avec une approche analogique de la réalité, l’être humain peut réaliser la fusion du moi et de l’univers. Les représentants les plus connus de cette famille sont l’Église Universelle et Triomphante, l’Ordre de la Rose-Croix AMORC et la Fraternité Blanche Universelle.
Ces nouvelles religions, nous le disions plus haut, sont en résonance avec un contexte. On remarque que, dans la famille chrétienne, les valeurs familiales sont importantes et répondent aux besoins des personnes qui cherchent une cohérence face à l’éclatement de la famille dans nos sociétés occidentales. En proposant une démarche spirituelle sans encadrement institutionnel, la famille orientale semble bien répondre au contexte individualiste de notre monde urbain. La famille scientiste réaffirme avec force le nouveau mythe fondateur moderne de la techno-science. La famille ésotérique fait aussi état d’un nouveau mythe, celui d’une terre devenue un village global avec, entre autres, l’arrivée de la télévision et de l’internet. Nouvelles visions du monde en résonance avec un nouveau contexte, les nouvelles religions réinterprètent l’héritage local à la lumière d’une nouvelle grille de lecture.
[1] « Mouvement », in Le Petit Robert [CD-ROM]. [s.l.] : Microsoft Corporation, 2001 (1 disque au laser d’ordinateur ; 4 3/4 po.).