Il y a des dizaines de définitions du mot « religion », élaborées de différents points de vue. Les unes sont proposées par les traditions religieuses elles-mêmes et utilisent les termes propres à ces traditions (des mots latins, grecs, sanskrits, arabes, etc.) : ce sont des définitions normatives, qui reposent sur des données internes à ces traditions. Par exemple, selon une publication des Témoins de Jéhovah, la véritable religion ne peut être que « la religion pure et sans tache devant Dieu le Père » dont parle l’épître de Jacques (1,27), c’est-à-dire « visiter les orphelins et les veuves dans leur détresse, se garder du monde pour ne pas se souiller » (voir L’humanité à la recherche de Dieu, New York, 1990, p. 18). L’hindouisme, le bouddhisme, le christianisme, l’islam possèdent d’ailleurs chacun un vocabulaire technique spécifique pour se désigner en tant que tradition essentielle et permanente.
De telles définitions normatives et de telles appellations ne recouvrent pas nécessairement la définition que nous proposons. Vous trouverez en effet ici une définition que l’on dit « opérationnelle » (une définition de travail, a working definition), élaborée à distance des traditions spécifiques, du point de vue des sciences qui étudient le domaine du religieux. Une telle définition vise à fournir à des observateurs extérieurs un ensemble de paramètres destinés à faciliter la recherche. Il faut considérer une telle définition comme un outil parmi d’autres permettant de prendre un certain recul par rapport au discours spécifique de chacune de ces traditions. Cette opération permet en outre de regrouper certains ensembles de phénomènes apparentés. Selon cette manière de voir les choses, on peut dire qu’une religion est
un ensemble de pratiques (rites, gestes symboliques, attitudes morales, etc.) et de croyances (récits mythiques, postulats de foi, dogmes, etc.) partagées de façon durable par des personnes réunies en un groupe d’une certaine extension (groupes ethniques, castes, communautés de foi, Églises, etc.) et acceptant certaines valeurs (une ou des divinités, une expérience ultime, etc.) qui transcendent et relativisent toutes les autres valeurs structurant l’existence quotidienne. On trouve ordinairement dans ces religions certains spécialistes (chamanes, prêtres, juristes, sages, etc.) chargés d’intervenir dans le domaine de l’invisible ou du moins de spécifier et de maintenir les règles pour y parvenir.
Si elle n’était qu’un ensemble de pratiques, de croyances et d’institutions liées par une même solidarité, une religion serait un système relativement facile à démonter en ses éléments constitutifs. En fait, il ne s’agit jamais d’un donné statique. Il faut donc ajouter
que les personnes engagées dans une religion peuvent être amenées à se définir en tant que membres d’un groupe spécifique, du moins quand elles sont en situation de rencontre avec d’autres groupes similaires. Que ces personnes peuvent être amenées à légitimer rationnellement les valeurs dont elles vivent, du moins quand elles les sentent contestées. Et que ces personnes peuvent également tenter, quand elles le jugent à propos, de persuader les autres du bien-fondé de ces mêmes valeurs.
On ne peut donc cerner le dynamisme d’une religion sans aborder les stratégies qui permettent aux personnes qui en font partie de se définir en tant que groupe spécifique, de justifier leurs convictions, et de proposer celles-ci à d’autres personnes. La religion est indissociable d’une certaine rhétorique, et le travail des spécialistes en sciences des religions consiste entre autres à analyser et à comprendre des discours élaborés par des citoyens qui sont en même temps des croyants.
Il est normal que des groupes religieux, qui existent dans des sociétés qui se mondialisent et qui deviennent plus conscientes des ressemblances et des différences existant entre les diverses religions, élaborent des discours complexes et nuancés vis-à-vis de traditions concurrentes (on parle de « théologies des religions »), et que s’organisent des conversations entre personnes tout à fait conscientes de leur originalité respective (« dialogue interreligieux »). Il est également inévitable qu’il y ait entre ces religions des contacts, des emprunts, des mélanges, des conflits, des compromis, que les sciences des religions sont amenées à étudier.