Les jeunes et l’astrologie : s’éclairer avec les étoiles dans une nuit sans lune

par Frédérique Beaudet, agente de recherche, Université Laval, mars 2025

Les jeunes et l’astrologie :  s’éclairer avec les étoiles dans une nuit sans lune (PDF)

« Nous rêvons d’une pratique qui donnerait à chacune les clefs pour s’interpréter, pour choisir elle-même comment se dire dans l’espace ouvert par les symboles. Une pratique collective qui naîtrait de la réciprocité, d’un dialogue sincère entre l’accompagnante et l’apprenante. Une pratique qui assumerait le manque qui la constitue plutôt que de laisser l’ami seul dans son manque à lui » (Les firmaments suspects : Petite apologie de la croyance astrologique. Maryse Andraos et Myriam de Gaspé 2020 : 67).

Introduction

L’astrologie est, dans le monde de la spiritualité et des religions, une pratique divinatoire qui « involves the forecasting of earthly and human events through the observation and interpretation of the fixed stars, the Sun, the Moon, and the planets » (Pingree et Gilbert 2021 : 1). Remontant jusqu’à la Mésopotamie plusieurs siècles avant notre ère, l’astrologie est développée en Égypte, en Grèce, en Inde et en Chine entre le Ve siècle AEC et le VIe siècle EC (ibid.). Pour une très bonne partie de son histoire, l’astrologie est principalement utilisée par les élites et la royauté afin de prévoir les désastres et les succès qui vont frapper leur société (ibid.). Longtemps comprise comme une science, l’astrologie voit éventuellement ses présupposés démentis par les sciences modernes, notamment l’astronomie. En Occident, les découvertes de Newton (1643-1727) sur la physique et le rationalisme de l’époque des Lumières (XVIIe-XVIIIe siècles) relèguent l’astrologie dans l’ombre, mais celle-ci réapparaît avec force dans les sociétés occidentales au XXe. siècle grâce à la presse féminine des années 1930 (Frouin 2020) et suivant la tendance New Age des années 1960 (Pingree et Gilbert 2021 : 32). Délaissée par les élites dans leurs processus décisionnels, l’astrologie devient alors une pratique ésotérique populaire, qui permet aux individus de prendre eux-mêmes leur vie en main.

Dans les dernières années, la pratique de l’astrologie connaît une résurgence au sein des jeunes générations, plus précisément la génération des Milléniaux, qui comprend celleux nés entre 1980 et 1996, et celle des Z, qui inclut les jeunes nés entre 1997 et 2012. Cet article, cherchant à faire lumière sur ce regain de popularité de l’astrologie auprès des jeunes, aborde divers aspects entourant cette pratique spirituelle. Ce faisant, cet article aborde, dans un premier temps, la signifiance artistique, fonctionnelle et mitigée de la croyance en l’astrologie en creusant ce qui se cache sous la question « Tu crois vraiment à ça, à l’astrologie ? » Dans un second temps, cet article approche l’astrologie comme une pratique religieuse désinstitutionnalisée qui permet d’ancrer l’errance spirituelle des jeunes désabusés des religions institutionnalisées. Dans un troisième temps, l’article se penche sur la composition des communautés de jeunes entourant l’astrologie, majoritairement féminine et/ou queer. Par la suite, l’astrologie est appréhendée comme outil de divertissement, puis comme outil de support psychologique. Enfin, cet article explore la relation ambivalente entre l’astrologie et le capitalisme, et comment les jeunes utilisent l’astrologie dans leurs luttes sociopolitiques.

« Tu crois vraiment à ça, à l’astrologie ? » : une croyance signifiante artistique, fonctionnelle et mitigée

Lorsqu’on aborde l’astrologie avec des personnes qui n’en sont pas friandes, l’une des premières questions auxquelles on a droit est la suivante : « Tu crois vraiment à ça ? » (Andraos et de Gaspé 2020 : 66). À cette question, les autrices de l’article « Les firmaments suspects », les femmes de lettres Maryse Andraos et Myriam de Gaspé, répondent, sans vraiment répondre à la question, que « la vie est plus signifiante lorsqu’on a les planètes pour l’interpréter » (ibid.). Cette réponse, qui pique la curiosité de certains de par son originalité, en agace toutefois plusieurs autres… Après tout, « Il faut être un peu stupide, bêtement crédule, pour croire que le ciel sous lequel on naît conditionne l’identité » (ibid.). De fait, à maintes reprises, la rationalité scientifique a démenti l’astrologie en la reléguant au monde des pseudosciences et de l’irrationnel (Bernard 2018 ; Komath 2009 ; Thagard 1978 ; Jerome 1973; Bok et Mayall 1941, Rutkin 2018). Toutefois, Andraos et de Gaspé soulignent que cette question à propos du croire astrologique ne veut pas nécessairement dire la même chose pour celleux qui la posent que pour celleux qui y répondent. Pour bien comprendre la croyance contemporaine en l’astrologie, il faut donc d’abord se pencher sur cette question ainsi que sur ses présupposés. Sinon, on risque, par mauvaise foi ou par mégarde, de transformer les propos de celleux qui ont répondu à cette question en les sortant de leur contexte et en les éloignant de leurs référents.

Pour Andraos et de Gaspé, celleux qui posent la question du croire en l’astrologie veulent savoir si les amateurs d’astrologie croient au lien de causalité entre les cartes du ciel (c’est-à-dire le placement des astres dans l’univers par rapport à la terre) et le déroulement concret de la vie ici-bas. De leur côté, celleux qui répondent à cette question du croire astrologique la comprennent plutôt comme un questionnement sur le potentiel interprétatif de l’astrologie. De fait, pour nombre d’amateurs d’astrologie, les cartes du ciel ne sont pas des manuels révélant les essences des êtres, mais sont plutôt des récits à analyser, des histoires à interpréter et à réinterpréter au fil du temps et de son expérience du monde (Andraos et de Gaspé 2020 : 66). La question du « Y crois-tu ? » pose donc problème, car les demandeurs de la question et les répondeurs à la question n’approchent pas la croyance, soit l’objet central de la question, de la même façon. Effectivement, celleux qui se questionnent sur la croyance en l’astrologie, sur sa causalité et sur sa véracité, tentent d’opposer l’astrologie à la science en la distançant de la rationalité et en la rapprochant du monde de la superstition. En revanche, pour les friand·es d’astrologie, l’astrologie ne se veut pas une science, ni même vraiment une religion, mais plutôt un art (ibid.). Difficile alors de répondre à la question « Y crois-tu ? » d’une manière satisfaisante pour une personne campée dans le monde des sciences lorsque l’on y répond avec une perspective ancrée dans celui des arts. On parle donc ici de subjectivités divergentes, l’une plaçant la rationalité au centre de ses préoccupations et l’autre non.

Considérant la subjectivité du monde des arts, une telle vision de l’astrologie rend pour le moins particulier le questionnement de sa véracité. De fait, comprise comme un art, l’astrologie se distancie du dogme ainsi que du déterminisme scientifico-religieux pour se rapprocher de la liberté plus ou moins arbitraire des arts du discours et de la parole, de la littérature. En ce sens, l’interprétation des cartes du ciel peut se faire comparer et mettre en parallèle à l’analyse littéraire, à laquelle on peut faire dire presque tout et son contraire : « La carte offre à lire des signes ; nous en faisons la lecture comme d’un texte, à partir duquel nous écrivons notre propre texte. Tout comme se profilent sur la page de multiples avenues d’interprétation, différentes vérités à advenir, le récit astral n’a jamais fini de se construire, nous entraînant dans sa métamorphose » (ibid.). Dans le monde des arts, croire en l’astrologie signifie alors surtout croire à la fécondité symbolique ainsi qu’au fort potentiel interprétatif qu’on peut faire jaillir du terrain astrologique. L’astrologie, comme terrain de création artistique riche en symboles (signes du zodiaque et constellations, astres et planètes, polarités et éléments…), reste cependant régie et balisée par certaines lois. De fait, on ne peut associer au Sagittaire ce qui est le fait du Poisson, ni au Capricorne ce qui relève du Cancer ou au Bélier ce qui appartient à la Balance. Cela permet donc aux amateurs d’astrologie de faire « surgir du sens » (ibid.) dans leur vie, de construire et de reconstruire leur histoire en fonction des symboles qui sont les plus importants à leurs yeux et dans leur cœur. Tabitha Prado-Richardson, dans son article « Who Needs Astrology? », exemplifie le sens que peut donner l’astrologie à la vie en mettant de l’avant le potentiel signifiant et fonctionnel de l’astrologie, même si l’on y croit qu’à moitié :

A little bit of the magic can filter in […] when you check your astrology app and see that Jupiter has just moved into Sagittarius, a traditionally lucky and benevolent placement. In that moment, things feel a bit more in place, and I half-know it’s not true, but my heart has slowed down, because I’ve remembered that both the planets and my feelings keep moving (Prado-Richardson 2019: 23).

La pratique de l’astrologie, même si elle est d’abord interprétative, signifiante et fonctionnelle, reste alors croyante jusqu’à un certain point. La possibilité de catégoriser et d’analyser le caractère des gens en fonction de leurs signes et d’expliquer les aléas de la vie selon les astres est trop alléchante pour y résister : « Dans nos conversations de tous les jours, nous avons tendance à catégoriser, à expliquer le caractère des gens par leurs planètes : “Perfectionniste dans son écriture — c’est son Mercure en Vierge”. “C’est son”, c’est-à-dire c’est à cause de. Ou encore : “Il cherche une mère ; normal, il a la Lune en Poissons !” » (Andraos et de Gaspé 2020 : 68) En pratique, parler ainsi dénote des présupposés déterministes, la croyance que le placement des astres à la naissance d’un individu et leurs déplacements subséquents dans le ciel a un réel impact sur l’identité, le développement personnel et l’expérience sur terre. Malgré un refus explicite de tomber dans le déterminisme de la part de nos astrologues-littéraires (ibid.), il serait incohérent de dire que le concept du déterminisme n’a pas du tout sa place dans le discours sociologique entourant l’astrologie. Ici, une métaphore de navigation, selon laquelle un individu « suit sa propre trajectoire, mais doit tenir compte d’une météo plus ou moins clémente, et surtout versatile » (Peretti-Watel 2002 : 23), permet de bien rendre compte du rapport déterministe mitigé entre l’individu (le navigateur, l’astrologue) et son environnement (les mers et les océans, l’astrologie). Cela confère à l’individu une certaine agentivité, définie comme la capacité humaine d’agir intentionnellement sur soi, sur autrui et sur le monde (Jézégou 2022 : 41). Ainsi, toujours selon Peretti-Watel et sa métaphore de navigation, « [l]es astres de l’horoscope, constitue[nt] un déterminisme supra-individuel, qui nous contraint mais de l’extérieur, cette distance restituant une certaine marge de manœuvre à l’individu (voir Peretti-Watel 2000, pp. 213-215). » (Peretti-Watel dans Peretti-Watel 2002 : 23)

Pour Alain Bouchard, sociologue des religions et responsable du CROIR (Centre de Ressources et d’Observation sur l’Innovation Religieuse) de l’Université Laval, ces tensions entre la croyance (qui peut fort bien être irrationnelle et démentie) et la pratique interprétative, signifiante et fonctionnelle s’explique entre autres par la phrase suivante : « Ce ne sont pas les faits qui sont importants, mais c’est l’effet que crée cette croyance-là en moi qui est important » (Bouchard dans Savoir média 2023 : 0:55-1:02). De fait, comme Andraos et de Gaspé le mentionnent dans leur article, si elles croient en l’astrologie, c’est bien parce qu’elles ont la forte impression que ça marche, « puisque ça prend, ça se met en mouvement pour changer nos vies » (Andraos et de Gaspé 2020 : 68). En approchant sociologiquement la pratique de l’astrologie, on voit bien que les faits scientifiques sur les astres n’occupent pas une place centrale dans le discours et dans le raisonnement astrologiques, que « c’est d’abord depuis l’épreuve intuitive de l’empirique » (ibid.) que se construit la croyance en l’astrologie.

En somme, considérant cette approche signifiante artistique, fonctionnelle et mitigée de l’astrologie, il devient pertinent de revenir à la question du croire astrologique. À la question « Tu crois vraiment à ça ? », Andraos et de Gaspé répondent finalement qu’« À l’astrologie, nous croyons, et ne croyons pas à la fois. Nous en faisons […] [un usage] “qui simultanément affirme un objet de croyance et invite à la résistance envers ce que cette croyance peut avoir de superstitieux” (Yves Citton) » (ibid. : 68). Bref, ces deux femmes mettent de l’avant et exemplifient une manière suspicieuse d’aborder l’astrologie qui permet de concilier sa magie artistico-fonctionnelle ainsi que ses limitations, établies maintes et maintes fois par les scientifiques. Ce faisant, Andraos et de Gaspé peuvent dégager des interprétations et du sens dans leur vie, « Parce que tout discours, sans croyance, s’effondre. Sans croyance, aucune parole, aucune écriture n’est possible. La vérité, c’est qu’il n’y a pas de vérité sans croyance, sans implication subjective — ce qui est bien à la mesure de notre époque » (ibid.).

Une religiosité alternative : le rejet des institutions et l’astrologie pour ancrer son errance spirituelle

Le théologien italo-canadien Bruno Mori, dans son livre Pour un christianisme sans religion, avance que « l’Occident a atteint […] son indépendance par rapport à la religion » (Mori 2019 : 95). Selon lui, la religion dominante en Occident, le christianisme, perd tranquillement son emprise sur la culture occidentale à partir du XVe siècle, suivant l’avènement des idées humanistes de la Renaissance italienne. Le mouvement des Lumières des XVIIe et XVIIIe siècles et la révolution industrielle du XIXe siècle permettent ensuite les débuts de la déchristianisation et de la sécularisation de la culture occidentale, mais l’effondrement de la religion en Occident se développe, toujours selon Mori, surtout aux XXe et XXIe siècles avec le progrès de la science et l’accroissement des connaissances humaines. La culture occidentale, n’ayant plus besoin de la religion ou de Dieu pour s’expliquer le sens du monde, se construit dès lors autour

de la « raison pure », de la « mort de Dieu », du progrès industriel, technologique et scientifique, des connaissances, des équations, de l’expérimentation scientifique comme unique critère de vérité, des algorithmes informatiques, de la réalité virtuelle, de l’intelligence artificielle, des chartes des droits et libertés, ainsi que de la valeur absolue et inaliénable de la personne… (ibid.).

D’une autre manière, la sociologue française des religions Danièle Hervieu-Léger, plutôt que de parler d’un effondrement de la religion en Occident, approche le paysage du croire dans les sociétés occidentales modernes « par un double mouvement de désinstitutionalisation et de subjectivisation des croyances et des pratiques, inscrit dans le déclin des observances, la dissémination des systèmes individuels du croire et l’explosion des petits bricolages rituels » (Hervieu-Léger 2010 : 1). Les croyances en Occident, loin d’être disparues, ne relèvent plus d’une religion institutionnalisée comme le christianisme, mais sont choisies et construites au niveau individuel. Toujours présente en Occident, la religion se transforme donc avec l’arrivée de la modernité : les individus n’ont plus à adhérer à un ensemble de croyances venu tout droit d’une religion institutionnalisée. Chacun peut dès lors façonner sa religiosité et sa spiritualité personnelle selon ses propres valeurs et besoins, quels qu’ils soient. Pour conceptualiser cette prolifération individualisée des croyances, le sociologue français Jean-Louis Schlegel développe l’idée des religions « à la carte » (1995). Selon cette analogie, les individus choisissent leurs croyances et construisent leur religion comme s’ils étaient dans un grand restaurant diversifié et multiculturel et qu’ils décidaient quelles entrées jumeler avec quels repas, quelles boissons et quels desserts. On pourrait ici parler d’un grappillage ou d’un picorage de croyances, d’un « cherry-picking » spirituel et religieux, si l’on se permet l’anglais.

S’étant ainsi détournés des institutions religieuses, les Occidentaux ont « besoin d’un [nouveau] point de focalisation sur lequel l’imaginaire croyant peut se projeter et se fixer » (Liogier 2009 : 141). Les individus croyants, mais non affiliés à une religion institutionnalisée, comme dans tout mouvement spirituel, sont à la recherche de sens. Toutefois, sans institution qui monopolise l’interprétation de leurs expériences, il leur revient de confirmer eux-mêmes leurs intuitions en formant (ou en trouvant) des micro-communautés pour les justifier. Ces (micro-)communautés deviennent alors le premier vecteur de vérification de leurs croyances. D’une manière plus imagée, il faut un bac à sable autour des modules du terrain de jeu, des balises sur les voies de circulation, une étoile brillante pour s’orienter dans la nuit. Dans les sociétés occidentales modernes affectées « par le double mouvement de désinstitutionalisation et de subjectivisation des croyances et des pratiques » (Hervieu-Léger 2010 : 1), l’une des (micro-)communautés qui a permis de faire émerger du sens dans le paysage du croire est celle qui s’est construite autour de l’astrologie dans les dernières décennies (Frouin 2020 : 75).

Selon Maryse Andraos et Myriam de Gaspé, « On entre dans l’astrologie quand on cherche à s’expliquer ce qui nous affecte, quand on a besoin de guides » (Andraos et de Gaspé 2020 : 66). Pour ces femmes de lettres, la pratique de l’astrologie, de par ses aspects signifiant, artistique, fonctionnel et mitigé, est la rencontre avec « une vérité non pas définitive, mais en constante mutation » (ibid.) qui permet d’ancrer leur errance spirituelle tout en leur laissant la liberté de vagabonder et de cheminer à leur manière dans la spiritualité et la religiosité. Ce que ces femmes recherchent dans l’astrologie, « ce n’est pas trouver la vérité, c’est errer avec elle » (ibid.). Qui plus est, selon le Dictionnaire de l’Académie française, le mot « planète » est « Emprunté, par l’intermédiaire du latin planeta, du grec (astra) planêta, “(astres) vagabonds”, lui-même dérivé de planân, “écarter du droit chemin, faire errer” » (Académie française 2025). Il n’est donc pas surprenant de trouver dans l’astrologie, dans laquelle les planètes sont centrales, une manière d’approcher le religieux qui soit alignée avec les enjeux (désinstitutionalisation et de subjectivisation des croyances et des pratiques) du paysage du croire en modernité. Bref, l’astrologie est une religiosité alternative aux religions institutionnalisées qui permet aux individus d’explorer la spiritualité et de dégager du sens dans leur vie, sans toutefois les enfermer dans un cadre trop strict et limitatif.

Une communauté féminine et queer, à l’écart des hommes cishétérosexuels et de la violence patriarcale

Historiquement, l’astrologie est d’abord un domaine masculin, et les grands astrologues ont majoritairement été des hommes. En revanche, dans la dernière vague de popularité de l’astrologie, ce sont plutôt les femmes ainsi que les personnes LGBTQ+ qui se sont appropriées l’interprétation des astres (Prado-Richardson 2019 : 38). Ainsi, en France, une récente étude IFOP pour la fondation Reboot et la fondation Jean Jaurès sur la mésinformation des jeunes et leur rapport à la science et au paranormal démontre que 49 % des jeunes de 18-24 ans, mais que 53 % des jeunes femmes, pensent que l’astrologie est une science (IFOP 2022 : 19). Aux États-Unis, ce sont aussi les jeunes femmes (de la génération des Milléniaux et des Z) qui sous-tendent la popularisation de l’astrologie, comprise comme un « primarily feminine interest » (Floyd 2023). Également, pour les Québécoises Maryse Andraos et Myriam de Gaspé, dans la communauté queer, « le zodiaque est devenu une langue fédératrice, une tradition commune ; un code, en quelque sorte, par lequel les queers se reconnaissent en tant que famille » (Andraos et de Gaspé 202 : 67-68). Récemment, la série québécoise « Ésotérique ? » de Véro.tv (Fournier 2023) est animée par deux jeunes milléniaux : Joanie Gonthier, une femme qui découvre dans l’astrologie un nouvel outil auto-réflexif, et Félix-Antoine Tremblay, un homme ouvertement homosexuel qui dit consulter son horoscope tous les jours. Ce choix témoigne de l’association entre les femmes, la communauté queer et l’ésotérisme au sens large, du moins dans l’esprit des membres de l’équipe de marketing de l’émission, sinon dans le discours sociétal québécois ou encore occidental.

Selon Camille Frouin, une féministe française qui a fait son mémoire de maîtrise sur l’astrologie, la propension plus grande chez les femmes que chez les hommes à aller vers l’astrologie s’explique notamment par le lien « particulièrement étroit » (Frouin 2021 : 11) entre l’astrologie, et en particulier les horoscopes, et la presse féminine, c’est-à-dire les publications au lectorat majoritairement féminin, depuis les années 1930 (Frouin 2020 : 18). De fait, encore en 2018, les magazines féminins les plus vendus en France, par exemple Elle, contiennent tous une rubrique horoscopique (ibid.). Pour Mathilde Fachan, une astrologue et l’hôte du podcast Z comme Zodiaque, c’est le patriarcat qui est à la source de cette association de l’astrologie et du féminin : « Tout ce qui est lié à l’introspection, à la connaissance émotionnelle de soi, à l’intime, comme l’astrologie, est malheureusement souvent conscrit au genre féminin dans notre société patriarcale » (Fachan dans Frouin 2020 : 18). De fait, selon une autre astrologue, « On associe traditionnellement le masculin au rationnel et à la science, comme s’il ne pouvait s’exprimer que dans le courant cartésien » (Stephan-Bugni dans Frouin 2020 : 19). Ainsi, les femmes, dans un cadre sociétal occidental patriarcal, ont plus de chance que les hommes de s’intéresser à l’astrologie, parce qu’elles sont plus encouragées que ces derniers à faire l’introspection émotionnelle de leur intimité.

Par rapport à la communauté queer, Andraos et de Gaspé soulignent la prévalence de l’astrologie dans les rencontres entre personnes LBGTQ+ : « il n’est pas rare que la question “quels sont tes pronoms ?” alterne avec “quelles sont tes planètes ?” » (Andraos et de Gaspé 2020 : 68). Pour ces autrices, l’astrologie permet aux personnes queers, dans un contexte où les identités sont, plus souvent qu’autrement, fluides et non limitées à la binarité homme/femme, d’aller vers les autres en tenant compte de l’unicité de chacun·e : « C’est une façon d’entrer en contact avec son être, d’apprivoiser sa manière de penser, d’agir, d’aimer, de ressentir. Il y a dans ces échanges […] une réelle attention à la complexité de l’autre. À ce qui l’affecte » (ibid.). Ainsi, en tant que système symbolique prenant en compte une multiplicité d’éléments qui interagissent les uns avec les autres de manière complexe pour composer l’identité d’une personne, l’astrologie est un outil interpersonnel qui permet à la communauté queer de se définir et de se représenter hors du carcan symbolique binaire et limitatif du féminin et du masculin de l’hétéropatriarcat. Plutôt que de centrer le genre dans leur identité, les personnes queers peuvent, grâce à l’astrologie, construire leur identité autour de symboles non-genrés, du moins en théorie, comme les signes du zodiaque (Poisson, Bélier, Sagittaire, Capricorne, Balance…) et les astres (Soleil, Lune, Mars, Vénus, Saturne…).

Enfin, pour les femmes et la communauté queer, l’astrologie est attirante de par ses allures de safe space, d’espace sécurisé sécurisant où l’on peut se rassembler sans craindre de subir de la violence patriarcale (Frouin 2020 : 73). En effet, comme les hommes misogynes peuvent être rebutés par l’association de l’astrologie à la féminité, comprise en opposition et dans un rapport d’infériorité au masculin, ceux-ci sont moins présents dans les milieux friands d’astrologie. On pourrait nommer cette manifestation de la misogynie de ces hommes l’astromisogynie. Dans son mémoire, Camille Frouin (ibid.) aborde la question en faisant référence à un article de Vice publié en 2018 intitulé : « Pourquoi les gars hétéros détestent-ils autant l’astrologie ? ». L’autrice de cet article, Hannah Ewans, soutient l’idée selon laquelle la plupart des hommes hétérosexuels rejettent l’astrologie à cause d’enjeux liés au genre et à la sexualité : « C’est difficile à expliquer, mais si, par exemple, une fille à l’école aime un livre, les garçons ne vont pas l’aimer pour ne pas se faire traiter de gais, alors ce livre devient un livre de fille […]. C’est la même chose avec l’horoscope » (Anonyme dans Ewans 2018 : 12). L’astrologie pourrait mettre en danger leur identité d’homme en les rapprochant de la sphère féminine, et donc en remettant en question leur rapport à la masculinité et leur hétérosexualité. Ainsi, les hommes hétérosexuels, en tant que groupe, ont plutôt tendance à garder leur distance avec l’interprétation des astres et les signes du zodiaque. Ce faisant, la présence minoritaire des hommes hétérosexuels dans les communautés d’astrologie renverse les rapports de pouvoir présents dans la société occidentale patriarcale, où ces hommes détiennent la majorité du pouvoir. Considérant également son caractère désinstitutionnalisé (Frouin 2020 : 75) 一 il va sans dire que les institutions religieuses ont été instigatrices d’une oppression et de discriminations envers les femmes et les personnes queers importantes dans les derniers siècles, voire dans les derniers millénaires (Dubesset 2008 ; Evans 1978) 一 il n’est pas étonnant de constater que l’astrologie est un espace où les femmes et les personnes queers peuvent trouver refuge et se construire une communauté sécurisée et bienveillante, bref un safe space.

L’astrodivertissement : la prévalence des mèmes portant sur l’astrologie sur les réseaux sociaux

Sur les réseaux sociaux, et en particulier ceux privilégiés par les générations des Milléniaux et des Z, le contenu sur l’astrologie foisonne. Notamment, les plateformes X (anciennement Twitter), Instagram et TikTok proposent des millions de publications sur le sujet. À titre d’exemples, en ne cherchant que le mot-clic #Astrology sur TikTok, plateforme par excellence des Z (Duarte 2024), on trouve, en date du 13 octobre 2024, 4.2 millions de publications. Lorsqu’on sort du monde anglophone 一 la principale langue d’échange du Web 一 on trouve 348.4K de publications pour le mot-clic #astrologie et 982.8K pour le mot-clic #astrologia (voir Annexe A). Et sur Instagram, où 60 % des utilisateurs ont de 18 à 34 ans (Dixon 2024), le mot-clic #astrology cumule 17.2 millions de publications, le mot-clic #astrologie en rassemble 1.1 million et le mot-clic #astrologia, 5.9 millions (voir Annexe B).

Décidément, on ne peut nier la popularité de l’astrologie auprès des jeunes sur les réseaux sociaux. Afin d’expliquer le phénomène, l’astrologue et autrice Annabel Gat, dans un projet de Stefanie Schoner de l’Université d’État de New York, avance que l’« Astrology isn’t something to believe in. It’s something to enjoy » (Gat dans Schoner 2019 : 3). Également, Tabitha Prado-Richardson, dans un article paru en 2019 dans le magazine australien The Lifted Brow, met de l’avant l’engagement simple et joyeux des utilisateur·rices des réseaux sociaux avec le contenu lié à l’astrologie. Pour elle, cette relation avec l’astrologie s’explique par deux raisons : « The messy sprawl of diverse astrological content […] [and] the general lack of interest in proving astrology to be real or justifying its practice » (Prado-Richardson 2019 : 34). Sur les réseaux, il n’est donc pas nécessaire de croire en l’astrologie, ni même de maîtriser la terminologie et/ou de comprendre le fonctionnement des cartes du ciel, pour apprécier le contenu sur le sujet. De fait, comme le démontre Schoner (2019), les créateurs de contenu lié à l’astrologie sont nombreux à utiliser la culture populaire comme référent dans leurs publications, ce qui rend leur contenu accessible et attrayant à un large public. Par exemple, l’astrologue Milkstrology, active principalement sur X, mobilise beaucoup l’imaginaire de Sailor Moon, une série animée japonaise originalement sortie dans les années 90 et qui a été populaire à l’échelle mondiale, notamment auprès des jeunes filles, dans le contenu qu’elle crée et publie en ligne (ibid. : 6). Jakesastrology, surtout connu sur Instagram, se réfère quant à lui notamment au populaire sitcom américain Parks and Recreation (2009-2015) ainsi qu’à l’émission de téléréalité, devenue une série culte dans la communauté LGBTQ+, RuPaul’s Drag Race (en onde depuis 2009) (ibid. : 15, 16). Ce faisant, et vu l’utilisation des créateurs d’univers symboliques (personnages, événements, lieux…) déjà connus par leurs publics cibles dans leurs publications, il est facile pour les curieux et les néophytes de faire leurs premiers pas dans l’univers de l’astrologie sur les réseaux sociaux. Les correspondances symboliques entre l’individu et les astres s’ouvrent alors pour inclure celles avec la symbolique de la culture populaire, autant des niches (LGBTQ+, amatrices de dessins animés et de sitcoms…) que de la société dans son ensemble. Les publications portant sur les campagnes électorales, les idéologies politiques et la pandémie de la Covid-19 (@astrologymemesforpoliticalteens sur Tumblr), ainsi que sur la mode, les plantes et les habitudes au restaurant (Magliochetti 2020) le démontrent bien.

Par ailleurs, en plus de faire référence à la culture populaire (sociétale et nichée) dans leur contenu, les créateurs de contenu lié à l’astrologie formatent leurs publications selon les codes d’Internet, c’est-à-dire en faisant des mèmes (Schoner 2019, Prado-Richardson 2019) et en ayant recours à différents esthétiques (Schoner 2019). D’abord, les esthétiques (couleurs récurrentes, motifs, polices d’écritures…) permettent de créer une page au visuel cohérent, agréable et attrayant, bref, une atmosphère et une ambiance. Ensuite, les mèmes (images, textes, vidéos…), permettent de communiquer un message, comme le font les mythes dans les différentes cosmologies traditionnelles (Prado-Richardson 2019). L’efficacité des mèmes comme outils communicatifs explique pourquoi les astrologues, même les plus expérimenté·es et sérieux·ses, les utilisent de plus en plus sur leur plateforme (ibid. : 32). Ce faisant, « The sheer volume of memes led to its own complexity of meaning, often reflecting the creator’s personal experiences with other people, coded by their own individual signs » (ibid. : 32). Les mèmes, en plus de permettre la transmission du savoir astrologique, permettent donc de créer du lien entre les utilisateurs des réseaux sociaux et les astrologues/créateurs de contenu. À propos des mèmes, Prado-Richardson établit d’ailleurs un parallèle entre leur utilisation et la place du symbolisme ainsi que des correspondances dans l’astrologie : « Relatable symbolism is at the heart of astrology, forming multiple levels of connection, none requiring commitment » (ibid. : 39). Les utilisateurs des réseaux sociaux, lorsqu’ils se reconnaissent dans les mèmes d’un·e certain créateur de contenu, vont être plus engagés (mentions « j’aime », commentaires, partages, abonnements) envers celui-ci, qui peut alors faire grandir sa plateforme. Somme toute, bien que les réseaux sociaux contiennent aussi du contenu plus sérieux comme des prédictions et des horoscopes, des analyses de cartes du ciel et du contenu éducatif plus rigoureux, la prévalence des mèmes, et donc du divertissement, sur les pages proposant du contenu lié à l’astrologie, est notoire. Ceci confirme alors les dires d’Annabel Gat selon lesquels sur les réseaux sociaux, l’astrologie est une chose qu’on apprécie plutôt que quelque chose en quoi on croit (Gat dans Schoner 2019 : 3).

L’astrologie comme outil psychologique pour survivre à la modernité et dans la quête de soi

Selon Nicolas Boissière, une socio-anthropologue et doctorante au Département des sciences des religions de l’UQAM, la pratique moderne de l’astrologie « s’inscrit dans un grand intérêt actuel et contemporain pour la quête de bien-être, le développement personnel » (Boissière dans Chartier 2018 : 9). Cette affirmation résonne avec l’impression de Maryse Andraos et de Myriam de Gaspé selon laquelle la récente recrudescence exponentielle de l’astrologie auprès des jeunes (Milléniaux et Z) est fortement liée aux « temps angoissants que nous traversons » (Andraos et de Gaspé 2020 : 67). En effet, que ce soit à cause de « La crise écologique, la précarité économique, la montée de la droite populiste, l’éclatement de pandémies mondiales [ou encore à cause de] la place de plus en plus grande que prennent dans nos vies les nouvelles technologies » (ibid.), le monde dans lequel nous vivons est de plus en plus anxiogène, et ce, particulièrement pour les jeunes générations (Attias-Donfut et Segalen 2020). En conséquence, les jeunes, en quête de sens et de réconfort (Adorno 1994 dans Chartier 2018), se tournent vers le ciel pour calmer leurs angoisses existentielles (Andraos et de Gaspé 2020 : 65, Peretti-Watel 2002) et pour apprendre à s’auto-assister dans une démarche de développement personnel (Prado-Richardson 2019 : 20).

Carl Gustav Jung est un psychologue et psychiatre suisse de renom qui a notamment travaillé sur le symbolisme, les archétypes et l’astrologie. Il voit dans l’astrologie, et plus spécifiquement dans les cartes du ciel, un moyen de décrire psychologiquement les individus : « a person’s natal chart could provide insights into ‘what her [the patient’s] soul intended for her to achieve’ » (Jung 1960 :899 dans Jungian Center for Spiritual Sciences 2019 :11). Pour Jung, l’influence des astres sur les individus, plutôt que de relever d’un principe de causalité, relève de la synchronicité (Jung 1931 : 121 dans ibid. : 2), c’est à dire de la « simultanéité d’événements dont le lien est perçu comme signifiant » (Andraos et de Gaspé 2020 : 65). Selon Jung, l’astrologie est ainsi intrinsèquement liée aux archétypes, ces grands symboles bien ancrés dans l’inconscient collectif (Jung 1970 :589 dans Jungian Center for Spiritual Sciences 2019 :15). Cela lui permet d’exprimer « les grands conflits et désirs qui animent la psyché humaine » (Andraos et de Gaspé 2020 : 65). Bref, pour Jung, l’astrologie nous renvoie à ce que nous avons collectivement projeté sur le ciel et sur les astres. En tant qu’outil psychologique, l’astrologie permet donc de « comprendre ce qui nous marque pour s’en saisir comme tremplin » (Andraos et de Gaspé 2020 : 65).

Si l’on sort du monde théorique de la psychologie pour revenir à celui, plus concret, des individus, l’astrologie est un outil qui permet à celleux qui ont vécu des traumatismes ou qui sont anxieux de s’auto-assister dans leur démarche de développement personnel : « I’m not sure I would have been prompted into reckoning with my own personal trauma without the framework of astrology guiding me. There is little structural support to help with such messy, self-excavating work » (Prado-Richardson 2019 : 63). En effet, en Occident, le support et l’aide psychologique par un professionnel n’est pas accessible à tout le monde, et est particulièrement difficile d’accès pour les individus n’ayant pas les moyens financiers de consulter au privé. Au Québec, Patrick Lagacé, dans un article de La Presse paru en janvier 2017, souligne qu’il manque de ressources pour la santé mentale dans le réseau (gratuit) de santé publique : « Pour l’aide psychologique, le plus simple est de payer, d’“aller au privé” […] Ça coûte entre 80 $ et 125 $ la séance de 50 minutes. La plupart des plans d’assurance collective ne paient que quelques séances, bien moins que ce qui est requis pour vraiment identifier ses bibittes en thérapie. Si vous n’en avez pas, d’assurance ? Good luck » (Lagacé 2019 : 24-25). Quelques mois après la publication de l’article de Patrick Lagacé, la psychologue Christine Grou (2017), présidente de l’Ordre des psychologues du Québec, écrit un communiqué qui corrobore les dires du journaliste et qui va même plus loin, en soulignant les nombreux appels à l’aide que l’Ordre des psychologues du Québec a fait dans les dernières années au sujet de l’accès au soins en santé mentale au Québec. Malheureusement, le Québec n’est pas un cas isolé en ce qui a trait à l’accès au soutien et à l’aide psychologique. Le problème est notamment aussi présent ailleurs au Canada (Centre for Addiction and Mental Health 2024), aux États-Unis (Moitra et al. 2023) et en Europe (Conseil de l’Union européenne 2023).

Ainsi, pour plusieurs en Occident, l’astrologie est une forme d’auto-assistance psychologique et émotionnelle. De fait, l’astrologie encourage la réflexion et l’introspection et aide les individus dans leur démarche de développement personnel (Prado-Richardson 2019 : 21). Cette utilisation de l’astrologie comme outil psychologique s’explique notamment par le fait que les institutions publiques des pays occidentaux ne suffisent pas pour répondre aux besoins de soutien psychologique de leur population. Par conséquent, plusieurs se tournent vers l’astrologie, qui est « vague enough to carry both optimism and pessimism depending on emotional necessity » (ibid. : 24) et qui permet tant de se préparer à l’avenir que de faire la paix avec son passé.

Astrocapitalisme et astrorésistance : l’astrologie en interaction avec les luttes sociopolitiques

L’ampleur de l’industrie autour de l’astrologie permet assez facilement de dire que l’astrologie s’accorde à merveille avec le système capitaliste moderne. En effet, « Des applications telles que Co-Star valent des millions ; sur les réseaux sociaux, on peut faire fortune en diffusant des horoscopes, des mèmes et des formations sur le zodiaque » (Andraos et de Gaspé 2020 : 67). Également, certaines entreprises privées embauchent des astrologues « pour prendre des décisions financières, structurelles, ou pour offrir des activités de team bonding » (ibid.). Du côté des investissements, l’astrologie est utilisée en Bourse « afin de prédire le meilleur moment pour investir » (ibid.). L’astrologie est ainsi instrumentalisée par les capitalistes modernes afin d’accroître leurs capitaux ainsi que leur pouvoir économique.

Maryse Andraos et Myriam de Gaspé, dans leur article « Les firmaments suspects », nomment cette union, voire cette symbiose, entre l’astrologie et le capitalisme, l’astrocapitalisme (ibid.). L’astrocapitalisme rend presque indissociable l’astrologie de la consommation et de la possession. Toujours selon Andraos et de Gaspé (2020), cette approche de l’astrologie n’invite pas à la réflexion et ne laisse pas d’espace pour la pensée, pour le discernement. Plutôt, l’astrocapitalisme pousse à « ingérer puis recracher » (ibid.), bref à consommer, le contenu astrologique (horoscope, cartes du ciel, memes…) « pour remplir à tout prix le vide du soi, le vide du présent » (ibid.). Le savoir astrologique n’est alors plus recherché dans une quête spirituelle visant une réelle connexion avec soi-même et avec les autres, mais dans une quête de possession, dans laquelle « on cherche à se connaître et à connaître l’autre comme on cartographie un territoire » (ibid.). Le savoir astrologique permet ici de planter un drapeau sur un territoire inconnu dans le but de le conquérir plutôt que d’y prendre racine pour réellement le découvrir.

Également, l’astrologie, lorsqu’elle est centrée sur les individus comme c’est le cas actuellement, permet de faire abstraction des problèmes sociétaux et systémiques en ne mettant le focus que sur des enjeux personnels précis : « Si le travail nous rend malheureuses, disent les horoscopes, alors il faut trouver un autre emploi, en phase avec ce que nous sommes vraiment — avec ce que révèlent nos planètes » (ibid.). Ce type de discours ne questionne pas la source des problèmes vécus par les individus. Pour l’exemple du travail, si l’on va plus loin que le malheur d’un individu insatisfait de son emploi, on réalise que le système économique capitaliste actuel repose sur l’exploitation des travailleurs (Vrousalis 2023). Difficile alors d’être heureux et satisfait de son emploi lorsque le système lui-même entraîne notre aliénation ! Dans cette suite d’idées, l’astrologie « n’est qu’une autre industrie du bien-être où la connaissance de soi ne sert qu’à renforcer la productivité « (Andraos et de Gaspé 2020 : 67). Plutôt que de déconstruire les systèmes aliénants qui empêchent le bonheur collectif, l’astrologie soutient ceux-ci en reléguant la responsabilité de leurs circonstances aux individus. Ainsi, si une personne n’est pas épanouie dans sa vie, ce n’est pas à cause du capitalisme, du patriarcat, du colonialisme, du racisme ou des autres systèmes d’oppression présents dans les sociétés occidentales, mais bien à cause d’elle-même (Prado-Richardson 2019 : 27).

Toutefois, il serait faux de dire que l’astrologie ne fait que renforcer les systèmes d’oppression et d’exploitation. Sydney Sheedy (2024), dans sa thèse de doctorat, souligne que l’astrologie est utilisée par plusieurs personnes, notamment dans les communautés de jeunes queers et racisées, afin d’approcher analytiquement les systèmes de pouvoir néolibéraux et coloniaux nuisant aux populations marginalisées. Dans ces communautés, l’astrologie est utilisée pour changer la structure même des interprétations faites du monde et de son histoire (ibid. : 36). En tant que savoir alternatif et pratique rejetée par la culture hégémonique, qui puise ses racines dans le christianisme, l’astrologie, que Sheedy associe à la magie, permet la critique de la modernité ainsi que le renversement de son univers symbolique (ibid.). Ce faisant, l’astrologie rend notamment possible la revalorisation du féminin, subjugué dans le christianisme au masculin, et permet d’inclure les savoirs marginalisés ou oubliés dans l’imaginaire de ces communautés.

Également, la pratique et la croyance en l’astrologie permet à ces communautés de jeunes de se distancier de la science rationnelle, associée à l’impérialisme, à la colonisation et au patriarcat (ibid. : 53-54). L’astrologie est donc, dans ces communautés, un moyen de résistance et de subversion de l’ordre hégémonique oppressif. L’une des personnes interviewées par Sheedy avance ainsi :

At times I felt it was like really important to believe in astrology, believe in magic as a form of resistance to like Christian capitalist patriarchy or whatever, where it’s like […] we can feel so powerless against these systems, but like we have, our own world and our own language that does defy the, like, logic, order, reason, light, whatever vocabulary of like the, the mainstream, which is, you know, like anti-woman, anti queer (Anonyme dans Sheedy 2024 : 54).

De plus, Sheedy fait ressortir dans sa thèse que l’astrologie, ancrée dans le ciel et dans les astres, est « a timeless tradition whose history was murky and long enough that it appears to transcend normative cultural barriers » (ibid. : 267). Ce faisant, n’importe qui peut s’intéresser à l’astrologie et ce, peu importe sa nationalité, sa « race » ou son historique familial. L’astrologie permet donc une certaine universalité spirituelle, ce qui est très fédérateur dans des communautés aussi diversifiées que celles des jeunes queers et racisées. Après tout, « You can’t really own the stars » (Anonyme dans Sheedy 2024 : 256).

Faisant écho à ce sentiment d’universalité, Maryse Andraos et Myriam de Gaspé voient dans l’astrologie un savoir qui ouvre vers la collectivité : « Ainsi pouvons-nous accueillir ce qui nous est étranger tout en reconnaissant ce qui nous rend solidaires les unes des autres. Analyser notre ciel de naissance nous donne des clefs pour comprendre notre place dans le monde ; le rapport que nous entretenons au vivant, à l’inanimé et à l’immatériel » (Andraos et de Gaspé 2020 : 67). L’astrologie permet alors à ces pratiquants de participer activement au changement de la société en leur offrant la possibilité de revendiquer « ce que nous désirons plutôt que d’accepter ce qu’on nous impose » (ibid.). Bref, bien que l’astrologie soit actuellement bien insérée dans les systèmes d’oppression et d’exploitation comme le capitalisme, elle est aussi un outil de résistance contre ces systèmes, selon dans quelles mains elle se trouve.

En guise de conclusion

L’astrologie, cette pratique divinatoire à la longue histoire qui connaît, dans les dernières années, un regain de popularité auprès des générations des Milléniaux et des Z, est une manière d’aborder la spiritualité et la religiosité qui s’aligne bien avec les différents enjeux que vivent les jeunes en modernité. Loin d’être monolithique, l’astrologie est une pratique spirituelle qui se manifeste de multiples façons dans la vie des jeunes. Souvent mitigée et fonctionnelle, la croyance en l’astrologie des générations des Milléniaux et des Z s’apparente à un art, à la pratique littéraire, voire à la navigation. Regorgeante de correspondances et de corrélations, l’astrologie projette sur le ciel des symboles et des récits, et celui-ci nous les renvoie tel un miroir.

Ainsi, à l’époque actuelle, l’astrologie dépasse la question scientifique de la causalité pour s’ouvrir sur le vaste champ des possibles de l’interprétation et de l’empirique intuitif. Également, la pratique de l’astrologie permet à une jeunesse désabusée des religions institutionnalisées de se trouver des repères afin d’ancrer son errance spirituelle. Dans cette veine d’idées, l’astrologie permet à chacun de construire sa propre religiosité selon ses goûts, valeurs et intérêts personnels, sans être restreints par un cadre trop strict. Malgré ses multiples subjectivités, l’astrologie n’est toutefois pas une pratique solitaire et purement individuelle. Que ce soit en ligne ou dans le réel, l’astrologie rassemble plusieurs jeunes, surtout des femmes et des personnes queer, dans des communautés dynamiques où se tissent du lien social. En tant qu’univers symbolique complexe, l’astrologie se marie bien avec la culture populaire, ce qui la rend facilement accessible aux jeunes qui passent une partie importante de leur temps libre sur les réseaux sociaux, notamment sur TikTok et Instagram. Bien que du contenu éducatif plus sérieux soit présent sur ces réseaux, le divertissement et les mèmes occupent une place particulièrement importante dans les espaces virtuels où l’astrologie est populaire. En plus d’offrir du divertissement, l’astrologie peut aussi être un outil de support psychologique pour les jeunes qui n’ont pas accès aux soins de santé mentale dans les systèmes inadéquats de santé publics et privés. Enfin, l’astrologie, même si elle peut facilement soutenir les structures néo libérales des sociétés occidentales modernes, offre aussi aux jeunes une avenue pour penser et réfléchir la résistance à l’oppression et à l’exploitation.

En somme, l’astrologie des jeunes est loin d’être l’astrologie qui était présente dans les cours royales des siècles, voire des millénaires, passés. Alors qu’historiquement l’astrologie offrait une manière de deviner l’avenir et de découvrir ses mystères, la pratique actuelle se détourne des prédictions pour se concentrer sur le ressenti de ses adeptes. Après tout, comme le sociologue des religions Alain Bouchard (2024) le dit si bien, « ce ne sont pas les faits qui sont importants mais l’effet. »

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ANNEXE A

En ne cherchant que le mot-clic #Astrology sur TikTok, on trouve, en date du 13 octobre 2024, 4.2 millions de publications. Lorsqu’on sort du monde anglophone 一 la langue d’échange du Web 一 on trouve 348.4K de publications pour le mot-clic #astrologie et 982.8K pour le mot-clic #astrologia.

 Astrologie 2 Astrologie 3Astrologie 1

 

 

 

 

 

 

 

 

ANNEXE B

En date du 13 octobre 2024, sur Instagram, le mot-clic #astrology cumule 17.2 millions de publication, le mot-clic #astrologie en rassemble 1.1 million et le mot-clic #astrologia, 5.9 millions.

 Astrologie 6 Astrologie 5 Astrologie 4

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