par André Couture, Université Laval, 14 mai 2019
Résumé : Cet article présente d’abord deux récits de création connus : celui de la Bible (premiers chapitres de la Genèse) et celui des Purāṇa hindous. Une troisième partie présente les grandes lignes de la théorie du Big Bang d’après les écrits de Hubert Reeves. Chacune de ces présentations débouche sur des réflexions destinées à cerner les caractéristiques de chacun de ces récits. Le texte se termine par quelques observations plus générales touchant les questions de comparaison.
On entend dire que certains groupes fondamentalistes chrétiens interprètent à la lettre les premiers chapitres de la Genèse dans la Bible et croient encore que le monde a réellement été créé en six journées telles qu’on les connaît sur la terre. Ces « créationnistes » font scandale, en particulier auprès d’une population qui s’est éloignée du christianisme et ne trouve plus aucun sens, disent-ils, à ce genre de sornettes d’un autre âge. Certains trouvent plus crédible une vision du monde à l’orientale avec une série de créations et de destructions, tandis que d’autres acceptent spontanément la théorie du Big Bang, mais d’une façon tout aussi naïve. On ne se rend pas vraiment compte que ces différents récits reflètent des préoccupations spécifiques et demandent pour être compris que l’on saisisse le contexte dans lequel ils ont été écrits et par conséquent leurs limites. Accepter ingénument de croire à la lettre d’un texte, c’est le plus souvent l’hypothéquer de la plus grande partie de son contenu. Il ne suffit pas d’affirmer que la théorie du Big Bang est vraie parce qu’elle est d’origine scientifique et de l’opposer à d’autres récits qui seraient faux parce qu’ils ont été rédigés d’un point de vue religieux ne reflétant que la naïveté populaire. Il faut aussi comprendre ce que disent ces récits et, en particulier, ce qu’ils ne veulent et ne peuvent pas dire.
Pour y voir plus clair, je présente à la suite deux récits censément connus : celui que l’on trouve les premiers chapitres de la Genèse (le début de la Bible juive et chrétienne) et celui qui figure dans les Purāṇa hindous. Une troisième partie expose les grandes lignes de la théorie du Big Bang d’après les écrits de l’astrophysicien et vulgarisateur Hubert Reeves. Chacune de ces présentations débouche sur quelques réflexions destinées à cerner les principales caractéristiques de chacun de ces récits. Le texte se termine par quelques réflexions générales portant sur des questions de comparaison et susceptibles de prévenir des jugements trop rapides[1].
Le monde juif et chrétien et son récit de création
Le récit de création que l’on trouve dans le livre de la Genèse de la Bible juive et de l’Ancien Testament chrétien paraît tellement banal qu’on se contente souvent d’y faire allusion hors contexte ou de le caricaturer. Les historiens supposent en général que les chapitres 2 et 3 de ce texte appartiendraient à la tradition dite « yahviste » qui daterait de l’époque royale (Xesiècle avant l’ère chrétienne) et que le premier chapitre serait de tradition dite « sacerdotale », donc du milieu de prêtres exilés en Mésopotamie après la chute de Jérusalem en 587 avant J.-C. Ces trois chapitres auraient été joints pendant les siècles qui ont suivi. Cela signifie que l’idée d’un Dieu potier (Gn 2,7) serait plus ancienne que la présentation de la création en six jours (Gn 1). Quoi qu’il en soit de ces hypothèses, ces chapitres, tels qu’ils se présentent actuellement, forment un tout indissociable et sont lus par les croyants comme un ensemble. Il existe de multiples traductions de la Bible et j’ai choisi d’utiliser l’une des plus récentes, celle de la Traduction œcuménique de la Bible (TOB)[2], dont l’introduction et les notes aideront éventuellement le lecteur à se rendre compte de la complexité de ce récit.
— Présentation du récit de création de Genèse 1-3
« Quand Dieu commença la création du ciel et de la terre, la terre était déserte et vide, et la ténèbre à la surface de l’abîme ; le souffle de Dieu planait à la surface des eaux » (Gn 1,1). Dieu dit : « Que la lumière soit ! » Et la lumière fut. Dieu sépara la lumière de la ténèbre, l’appela « jour » pour la distinguer de la nuit. Ce fut le premier jour. Dieu sépara les eaux supérieures des eaux inférieures et créa le firmament qui fut aussi appelé « ciel ». Ce fut le deuxième jour. Lors du troisième jour, il créa le continent qui fut appelé « terre » pour le séparer de la mer. Il fit en sorte que la terre se couvre de verdure, qu’apparaissent les arbres fruitiers et qu’ils se multiplient. Lors du quatrième jour, il créa l’ensemble des luminaires dans le ciel pour qu’ils servent de signes tant pour les fêtes que pour les jours et les années et qu’ils illuminent la terre. Lors du cinquième jour, il créa les poissons et tous les monstres marins dans les eaux ainsi que les oiseaux dans le ciel et fit en sorte que tous se multiplient. Lors du sixième jour, il créa bestiaux, êtres rampants, bêtes sauvages, et les fit se multiplier. Puis Dieu dit : « Faisons l’homme à notre image, selon notre ressemblance et qu’il soumette les poissons de la mer, les oiseaux du ciel, les bestiaux, toute la terre et toutes les petites bêtes qui remuent sur la terre ! » (1,26). C’est ce qu’il fit et il créa également l’homme mâle et femelle pour qu’il soit fécond et prolifique. Dieu vit alors — cela a été répétéchaque jour de la création — que ce qu’il avait fait était très bon. Lors du septième jour, Dieu s’arrêta et se reposa.
La suite du récit procède sur un ton différent, comme si un Dieu potier était maintenant à l’œuvre, de sorte que ce chapitre 2 semble chevaucher ce qui a déjà été dit au chapitre 1. On raconte donc que le Seigneur Dieu modela l’homme avec de la poussière prise du sol, qu’il insuffla dans ses narines l’haleine de vie et fit en sorte que l’homme devienne un être vivant. Il plaça cet homme dans un merveilleux jardin, bien arrosé, avec au centre l’arbre de la connaissance du bonheur et du malheur. L’homme devait cultiver le jardin mais sans jamais toucher à l’arbre qui se trouvait au centre. Puis, pour que cet homme ne soit pas seul, Dieu endort l’homme, prend l’une de ses côtes qu’il transforme en une femme bien assortie, de sorte que tous deux ne fassent désormais qu’une seule chair. Un astucieux serpent rôdait dans ce jardin : il s’approcha de la femme et lui dit que tous les deux pouvaient certainement manger du fruit de l’arbre auquel Dieu leur avait interdit de toucher. Dieu sait, plaida-t-il, que « le jour où vous en mangerez, vos yeux s’ouvriront et vous serez comme des dieux possédant la connaissance du bonheur et du malheur » (3,5). La femme se laissa convaincre et en mangea d’abord, puis en présenta à l’homme qui en mangea à son tour. Les deux prirent conscience de leur erreur et du fait qu’ils étaient nus. Dieu maudit le serpent, mit une hostilité entre lui et la femme, entre la descendance de celui-ci et celle de cette femme, condamna la femme à donnernaissance dans la douleur et l’homme à gagner sa vie à la sueur de son front. « Oui, tu es poussière et à la poussière tu retourneras », conclut-il (3,19).
— Quelques réflexions sur le récit de création de la Genèse
On devine déjà que ce récit est beaucoup plus complexe qu’il n’apparaît à première vue. Que faut-il en tirer ? Je me contenterai d’évoquer quelques-unes des directions possibles.
Un récit qui dissimule des polémiques. Les historiens qui ont analysé le premier chapitre de la Genèse soulignent certaines ressemblances avec d’autres récits du Moyen-Orient. La mention des différentes créatures, échelonnée tout au long des jours d’une semaine, serait un procédé littéraire utilisé pour unifier la création et placer Dieu au-delà des êtres qu’il vient de créer. Ce récit chercherait donc à imposer un point de vue original, sinon nouveau : il voudrait persuader les lecteurs qu’il n’existe qu’un seul Dieu, unique responsable de l’apparition de tous les êtres existant dans le monde. Il signifierait que, contrairement à ce que d’autres nations disaient à la même époque, ni le soleil ni la lune ni les constellations, ni la terre ni le ciel, ni aucun des animaux, ni aucun des humains ne sauraient être considérés comme des divinités et être vénérés en tant que telles. À travers ce récit, la Bible refuserait d’emblée le polythéisme, alors monnaie courante chez les peuples du Moyen-Orient et des alentours.
Un récit centré sur la souveraineté de Dieu. Ce récit met en scène un Dieu que l’on imagine selon deux des modèles disponibles à l’époque. Le premier modèle utilisé dès les premières lignes est celui d’un dieu roi, d’un dieu conçu comme l’unique souverain de toute la terre. Alors que le monde était vide de créatures, c’est Dieu seul qui décide de tout et qui crée à partir d’une sorte de matière première neutre. Un modèle complémentaire apparaît en Gn 2,7, celui du dieu potier qui façonne l’homme à même la poussière, un peu comme, en Égypte, le dieu potier Hnoum modèle l’homme sur son tour[3]. En fait, les deux modèles se rejoignent. La création commence à partir d’une situation antérieure à peine évoquée : une terre déserte et vide ou encore de la poussière. Le dieu souverain règne sur son domaine avec autant de liberté que le dieu potier façonne ses poteries. Les deux images définissent une divinité unique qui régit l’univers. Il n’est pas question selon la lettre de ce récit d’une création ex nihilo, c’est-à-dire de rien, une affirmation encore plus péremptoire de l’absolue souveraineté de Dieu. Qu’il règne sur un domaine vide ou qu’il utilise une glaise informe et entièrement disponible, Dieu travaille dans une sorte d’obscurité qui met paradoxalement en lumière sa pleine et entière souveraineté et liberté.
Un récit qui pose la souveraineté de l’homme sur le modèle de la souveraineté de Dieu. Cette proposition ne fait qu’expliciter la précédente. Lors de la sixième journée, le récit applique aussi à l’homme la souveraineté qui définit Dieu. Autrement dit, Dieu seul a créé l’homme, mais il l’a créé à son image, pour qu’il soumette et domine à son tour toutes les créatures (Gn 1,26-28). De même qu’un roi n’existe que pour soumettre et dominer un peuple, ainsi en est-il de Dieu, puis de l’homme à l’image de ce Dieu. Un des reproches que l’on afaits à ce texte est de justifier l’exploitation illimitée de la nature par un être humain qui a été placé sur la terre dans ce but unique. On pourrait rétorquer que l’homme n’a en fait pas plus intérêt à détruire la nature que le dieu souverain de ce récit à détruire l’homme qu’il a créé. En termes modernes, cela veut dire que le modèle sur lequel repose ce récit est aussi celui d’un dieu entrepreneur, un souverain qui a tout intérêt à utiliser un modèle d’affaire qui soit le plus économique possible et qui respecte au mieux le capital investi. Mais il s’agit de querelles qui débordent le texte à proprement parler.
Un récit qui légitime le peuplement de la terre. Le fait d’avoir une descendance est perçu dans ce récit comme une nécessité absolue. Dès l’origine, Dieu crée avec le souci de faire en sorte que ces êtres se multiplient. Autrement dit, chacun doit être en mesure de créer lui aussi et donc de peupler la terre. Ces chapitres ne reflètent nullement un contexte où l’on voudrait contrôler et limiter les naissances. Au contraire, il faut tout faire pour rendre les naissances possibles même s’il est pénible pour la femme d’enfanter. Le Dieu d’Israël ne règne pas sur un individu ou un couple, mais sur un peuple. L’être humain ne peut être qu’un être sexué qui doit se multiplier pour exister socialement. Tous les êtres dont Dieu remplit la terre disposent d’une sexualité qui les rend capables de subvenir à ce besoin de base.
Un récit qui affirme la bonté de l’œuvre de Dieu. Les jours de la création culminent avec le sixième jour où, en plus de tous les autres êtres vivants, Dieu crée l’homme, puis la femme, tous deux ne formant qu’une seule chair. Une phrase scande les six premiers jours de la création : « Dieu vit que cela était bon ». Le couple est ensuite placé dans un jardin idyllique dont il a désormais la responsabilité. Bien que le contexte ne soit pas clair, on peut supposer qu’une telle insistance sur la bonté de la création et sur la vie de plaisir que Dieu réserve au couple primordial, devait servir à contrer des points de vue contraires supposant que le monde est d’emblée mauvais. En tous cas, le fait est que Dieu a créé un monde essentiellement bon et que ce Dieu ne peut être considéré comme le responsable de la souffrance qui s’y déroule. Mais cette insistance sur la bonté de la création n’est peut-être en fait qu’un procédé rhétorique pour mettre en relief le problème que ce récit cherche finalement à expliquer : celui du mal et de la souffrance omniprésents dans le monde.
Un récit essentiellement dramatique. Quand on le lit comme un tout, il devient évident que ce récit de création introduit un drame. Le problème que ce récit tente d’expliquer, c’est évidemment la présence du mal sous toutes ses formes dans un monde bon où tout aurait dû servir à l’épanouissement et au bien-être de l’homme et de la femme. Après les avoir créés, Dieu place l’homme et la femme dans un jardin idyllique où tous deux devraient vivre éternellement et où il n’existe qu’une seule contrainte censée mesurer la capacité de ces humains à se soumettre à sa volonté : ne pas toucher à l’arbre qui se trouve en son centre. En raison du serpent et de ses sournoises astuces, pris au piège de la curiosité féminine, l’homme mange du fruit de cet arbre et se révolte inconsciemment contre Dieu. Le récit s’exprime à travers des médiations vraisemblables à l’époque où il a été écrit et on ne peut le lui reprocher. Ce qu’il dit foncièrement, c’est qu’en raison d’une chaîne de facteurs mystérieux (serpent, femme), la souffrance et le mal sont entrés en l’homme qui n’a plus d’autre choix que de vivre dans ces conditions dramatiques. Avant d’être un récit de création du monde, les premiers chapitres de la Genèse présentent une réflexion sur l’origine de la souffrance humaine.
Conclusion provisoire. Ce récit, peu importe l’origine de ses composantes, doit nécessairement, comme n’importe quel récit, être lu comme un tout. Cette construction mythique[4]propose une remontée jusqu’à l’origine des choses pour tenter de résoudre le paradoxe central de toute théodicée : comment est-il possible que le monde de bonté qu’a créé Dieu se soit transformé en un monde où les humains souffrent au point d’en mourir ? Comment croire en un Dieu bon dans un monde de souffrances ? Le récit purāṇique hindou part d’une tout autre perspective, mais d’une certaine façon tente de répondre lui aussi à la question du sens de l’existence humaine.
Le monde hindou et l’un de ses récits de création les plus courants
Il existe dans les Veda de multiples récits de création[5]. Je fonderai mes remarques sur le récit de création du monde actuellement le plus courant dans l’hindouisme encore aujourd’hui, même s’il est aussi le plus complexe et qu’on se contente souvent de brèves allusions. On trouve de ce récit différentes versions dans les Purāṇa, des sortes de compilations « antiques », souvent très longues, de date difficile à déterminer[6]. Ce sont des textes qui semblent apparaître vers les IVe-Vesiècles de notre ère, mais qui réutilisent de façon originale des images qui remontent souvent au Veda, environ un millénaire et demi plus tôt. La création des mondes, inséparable de leur destruction et de leur recréation, repose sur l’existence d’un dieu suprême qui porte le nom de Viṣṇu ou de Śiva selon les traditions et dépasse par sa stature toutes les autres divinités. L’interminable cycle de créations et de destructions commence par celles des principes de la réalité (création première) et se poursuit par l’apparition des mondes eux-mêmes (création seconde).
— Le récit de création du monde d’après les Purāṇa
Ce récit débute par ce qu’on appelle la création première (prākṛta-sarga), celle des principes de la réalité, relative à une dissolution finale de ces mêmes principes en la divinité suprême (prākṛta-pralayaou mahāpralaya). Cette première phase est suivie d’une seconde série de créations qui s’accomplissent lorsqu’apparaît un Brahmā qui fait apparaître le monde créé (sarga), puis le fait réapparaître à nouveau (pratisarga) à chacun des kalpaou jours cosmiques, chacune de ces créations étant suivie d’une dissolution qui se produit lorsqu’apparaît un Rudra en tant que divinité terrible qui précipite la destruction du monde (pralaya) à la fin de chacun de ces kalpa. Pour comprendre ce que veut dire un kalpa(ou journée de Brahmā), il faut prendre conscience que Brahmā vit une existence idéale de cent années de trois cent soixante jours (un mahākalpa), ce qui veut dire qu’il se produit trente-six mille créations pendant la vie d’un Brahmā et que chaque kalpacorrespond à l’une de ces journées. Il faut ajouter à cela que Brahmā lui-même est soumis à la transmigration et reviendra par conséquent à la vie pendant d’innombrables autres mahākalpa, qui comprennent chacun une autre série de kalpa.
C’est au moment de cette « création originelle » (prākṛtasarga) que se déploient successivement à partir d’une base matérielle (pradhāna) ou d’une matière (prakṛti) l’ensemble des principes psychiques et physiques qui sous-tendent l’existence de toutes les créatures (entre autres l’intelligence, le moi, le mental, les éléments ou corps subtils dont le feu et l’eau), puis les facultés sensorielles et facultés d’action qui en sont issues. Cette masse de principes (tattva) apparaît finalement sous la forme d’un œuf déposé sur les eaux primordiales, qu’on appelle l’« œuf de Brahmā ». L’image de l’œuf primordial figure dès l’une des plus anciennes Upaniṣad : « à l’origine, ce n’était que non-être ; cela devint être, apparut à l’existence, se développa en œuf… ». On peut donc supposer que ce nouveau récit de création ne fait que reprendre et adapter un thème bien connu[7], comme il le fera aussi avec le thème du lotus ou celui du sanglier.
Un élément caractéristique de ce récit est que le dieu qui préside à la création des mondes de même qu’à leur destruction est un Yogin dont le recueillement est comparé à un sommeil, tandis que l’interruption de ce recueillement estcomparée à un éveil. Voici comment le sage Mārkaṇḍeya présente le Yogin divin aux premiers moments de la création :
« Éveillé au début du jour [cosmique], le suprême maître du monde, qui est l’origine du monde sans avoir lui-même d’origine, qui est la cause de tout, qui est lui-même inconcevable, qui n’est mû par personne d’autre, ayant rapidement pénétré la Forme originelle [prakṛti, la Matière] et le Puruṣa [le principe spirituel], lui, le Seigneur suprême, les fit tressaillir d’un yogasuprême. Sous sa forme yogique, il entra en eux pour les faire tressaillir, comme la passion amoureuse dans les hommes et les femmes, ou comme un vent de printemps. Je t’ai raconté, comme le pradhānaayant tressailli, le dieu, sous la forme de Brahmā, naquit dans l’enveloppe de l’œuf…. »[8].
Quand le Yogin s’éveille, poussé hors de sa méditation yogique par son désir de créer, on dit qu’un nouveau kalpaest arrivé. Le Yogin prend alors la forme de Brahmā[9]pour émettre les êtres. À l’opposé, lors de la fin du kalpa, le Yogin prend la forme de Nārāyaṇa, ce qui veut dire qu’il porte en son sein la totalité des êtres et « dort » sous cette forme, couché sur l’océan cosmique, absorbé par la méditation. Le Viṣṇu Purāṇa(6,4,8) évoque clairement cette alternance entre sommeil et éveil de la divinité quand le sage Parāśara répond au brahmane Maitreya qui l’interroge sur la dissolution cosmique : « Quand l’Ātman de l’univers [le dieu suprême] s’éveille, alors le monde se met en mouvement ; quand Acyuta [Viṣṇu] s’est couché sur la māyā[10], alors l’univers entier ferme les yeux »[11].
Une fois Brahmā entré en scène, la seconde partie du récit de création se poursuit de différentes façons selon le kalpaqui est décrit. Selon la chronologie hindoue, nous vivons actuellement dans le kalpadu sanglier, ce qui veut dire que Brahmā est apparu sous la forme d’un sanglier (que l’on identifie au sacrifice). Puisque l’activité sacrificielle sert à maintenir l’ordre du monde, on ne s’étonnera pas que ce sanglier-sacrifice plonge dans les eaux de l’océan primordial et en retire la terre qu’il maintient à flot au bout de sa défense. Une autre façon d’affirmer que le sacrifice et le Veda qui en contient les règles doivent être replacés à nouveau au centre de ce nouveau monde, c’est de dire que, du nombril de ce grand Yogin qu’est le Puruṣa Nārāyaṇa couché sur l’océan cosmique surgit un long pédoncule, terminé par une fleur de lotus dont chacune des parties représente une partie de l’univers. Sur ce lotus trône aussi un Brahmā à quatre têtes fixant les quatre directions et tenant dans ses quatre mains des feuillets du Veda. Le sommet élargi de ce pédoncule (karṇikā) correspond au mont Meru, l’axe du monde, le lieu même où Brahmā tient conseil avec les dieux pour assurer le mieux-être du monde.
Selon ce qui vient d’être dit, le Yogin suprême, qui prend la forme d’un Brahmā pour émettre les créatures, est nécessairement amené à prendre, à la fin de chaque kalpa, une forme terrible, celle d’un Rudra, et à se transformer en feu dévorant de façon à purifier l’univers et à forcer les créatures qui y vivent à fuir dans les mondes supérieurs. Une fois complètement calciné, l’univers est recouvert des eaux d’un déluge qui ensevelit en quelque sorte le monde en attendant qu’il réapparaisse après une nuit cosmique de même longueur que le jour cosmique (kalpa). Symboliquement, on dit que le dieu suprême sommeille au milieu de l’océan réduit à une seule étendue d’eau (ekārṇava) sous la forme de Nārāyaṇa, le dieu qui est le refuge de tous les êtres.Le Viṣṇu Purāṇacontient une des versions les plus connues de ce mythe complémentaire, puisque l’ensemble de ce Purāṇa a été traduit en anglais par H. H. Wilson en 1840, une traduction qui fut adaptée à un plus large public par M. N. Dutt en 1894[12]. Elle est placée dans la bouche du sage (muni) Parāśara qui s’adresse au brahmane Maitreya. Le Yogin suprême porte alors le nom de Viṣṇu, désigné aussi sous les noms de Hari, Janārdana, Vāsudeva. Il est question dans ces récits non seulement de l’univers terrestre, mais également d’une série de mondes supérieurs vers lesquels fuient les âmes incapables de résister aux ardeurs qui les consument.
« À la fin des mille-fois-quatre-yuga[un kalpa], la terre étant comme épuisée, il y a pendant cent ans une effroyable absence de pluie. Dans tous les êtres terrestres sans exception, la substance vitale se raréfie jusqu’à destruction complète à cause de cette épreuve, excellent muni[le brahmane Maitreya]. Le bienheureux Viṣṇu, l’impérissable, prenant la forme de Rudra, cherche alors, pour détruire (le monde), à résorber toutes les créatures en lui-même. Le bienheureux Viṣṇu s’installe alors dans sept rayons du soleil, excellent muni, et boit toutes les eaux sans exception. Ayant bu la totalité des eaux, celles des êtres vivants comme celles de la terre, ô Maitreya, il amène toute la terre à un état de dessèchement. Les mers, les rivières, les torrents de montagne et les sources, l’eau des régions infernales, il les mène à épuisement complet. Les sept rayons, gonflés par ces eaux qu’il leur donne en nourriture deviennent sept soleils. Alors les sept soleils, flamboyant vers le bas et vers le haut incendient l’ensemble des trois mondes – trailokya– ainsi que les régions infernales. Le trailokya, ô dvija[brahmane], incendié par les sept soleils qui flamboient, dans les replis de ses montagnes, de ses rivières et de ses mers se trouve calciné. Quand le trailokyatout entier a ses eaux et ses arbres incendiés, la terre ressemble au dos d’une tortue. Alors Hari [un nom de Viṣṇu], devenu Kālāgnirudra [Rudra, feu du temps], le destructeur de l’univers – sarvahara– sous la forme du souffle du serpent Śeṣa [un cobra qui supporte d’abord le cosmos, puis le consume de son venin avant d’apparaître sur l’océan cosmique et de servir de couche à Nārāyaṇa], incendie les enfers qui sont au-dessous. Après avoir incendié la totalité des enfers, la grande Flamme gagne la terre et dévore toute sa surface ; puis, effroyable, un grand tourbillon de flammes en guirlandes tournoie dans tout le Bhuvarloka et le Svarloka [des mondes supérieurs]. Alors l’ensemble du trailokyabrasille comme une poêle à frire, enveloppé dans son tourbillon de flammes, où les êtres mobiles et immobiles ont péri. Alors les habitants des deux mondes (supérieurs Bhuvaroet Svarloka), entourésde cette pénible chaleur, ayant terminé leurs fonctions, s’en vont au Maharloka [un monde encore plus élevé], ô grand muni. Encore accablésde cette grande chaleur, ils quittent ce monde aussi vers le monde supérieur, le Janaloka, et font dix fois l’aller et retour, désirant aller plus haut… ».
« Après avoir incendié tout l’univers sous la forme de Rudra, Janārdana (Viṣṇu) fait des nuages du souffle de sa bouche, ô excellent muni. Alors des amas de nuages terribles et destructeurs se lèvent dans l’espace, comme des troupeaux d’éléphants, pleins d’éclairs et tonitruants… Tombant en grandes trombes d’eau, ils éteignent complètement le feu épouvantable qui s’était emparé du trailokya, ô brahmane. Une fois le feu disparu, la pluie continue nuit et jour et submerge tout l’univers de ses eaux, ô excellent muni. Après avoir submergé toute la terre sous des déluges d’eau, elle submerge aussi le Bhuvarloka et au-dessus, ô dvija[brahmane]. Tandis que le monde est dans d’aveugles ténèbres et que les êtres mobiles et immobiles ont disparu, les grands nuages continuent de se répandre en pluie pendant encore cent ans. C’est ainsi qu’à la fin du kalpa, excellent muni, Vāsudeva, l’éternel ātmansuprême, retrouve l’état de mahātmanqui rassemble tout ».
Dans ce récitetles nombreux récits comparables que l’on trouve dans les Purāṇa, on explique souvent que le Yogin suprême, sous l’effet d’un excès de tamas(la propriété psychophysique responsable de l’inertie), prend un aspect terrible pour brûler les créatures et les résorber en lui-même, de même que, sous l’effet d’un excès de rajas(la propriété psychophysique responsable du mouvement), il prend l’aspect de Brahmā pour les émettre hors de lui-même. Dans la version retenue, c’est le grand Viṣṇu qui se transforme en flammes de plus en plus terribles au point même de se joindre au souffle envenimé du serpent Śeṣa et de détruire ainsi l’ensemble des mondes. Cette même divinité se fait ensuite vent terrible pour amasser des nuages et déverser des torrents de pluies sur les mondes carbonisés. En submergeant les mondes, le feu s’éteint et la création tout entière se mue en un océan uniforme (ekārṇava) sur lequel le dieu refuge des êtres qu’est Nārāyaṇa s’endort, souvent couché sur le cobra Śeṣa ou Reste, lui aussi apaisé. Feu et eau plongent l’univers dans un état de profonde léthargie, ou dans une sorte d’état informe, qui prépare en fait un prochain réveil de la divinité et une nouvelle création. Le feu qui apparaît ici est lié au Temps (Kāla), un temps terrible qui annihile toute vie, purifie les êtres, déclenche un retour à l’indistinct d’où surgira une nouvelle mouture de la création.
— Quelques réflexions sur le récit de création tiré des Purāṇa
Quelles sont les grandes lignes sur lesquelles ce récit hindou a été construit et que peut-on en tirer qui permettrait d’esquisser une comparaison avec le récit chrétien et les récits issus de la physique moderne ?
Un dieu suprême d’abord pensé sur le modèle d’un yogin. Alors que, dans la Bible, le dieu suprême est conçu à la façon d’un souverain ou d’un potier et que, dans le Veda, le dieu suprême est conçu à la façon d’un puruṣa, d’un maître de maison mâle (Ṛgveda10,90)[13], le Puruṣa suprême ou Puruṣottama dont il est question dans les Purāṇa est conçu à la façon d’un Mahāyogin, un gigantesque Yogin, qui peut prendre le nom de Viṣṇu ou de Śiva selon les sectes. Un yogin(yogī) est un ascète qui parvient, grâce à sa maîtrise, à bloquer totalement les transformations liées à son mental et à arrêter le déroulement normal de sa vie psychique. Cet arrêt est momentané et suppose, après un temps de recueillement intérieur, le retour à la vie ordinaire. Le récit de création purāṇique projette au plan cosmique un exercice de yoga pratiqué par tous ceux qui pratiquent le yoga. Autrement dit, le dieu suprême est conçu à la façon d’un gigantesque Yogin qui alterne les phases de recueillement et de conscience normale. Pour ce faire, on dit qu’il exprime d’abord son désir de se répandre à l’extérieur de lui-même en disant : « Je désire émettre les mondes et les créatures ». Le récit est conçu de telle sorte que le temps de la création est suivi d’un retour de ce Yogin en lui-même, ce qui provoque par le fait même une apparente destruction de tout ce qui a été créé. Par opposition à ce que serait un renonçant totalement libéré de ses rapports avec le monde, le Yogin suprême continue d’exister en lien étroit avec le monde : sous la forme de Brahmā, il vit une existence de cent années de trois cent soixante jours et réapparaît ensuite dans un autre corps pour vivre une autre existence, un manège qui, en principe, n’a aucune raison de s’arrêter puisque ce Yogin vit éternellement. Ce Yogin précède donc toute création, tandis que la forme de Brahmā qu’il prend pour présider à la création est un être éternellement transmigrant.
Un dieu yogin qui préside alternativement à la création et à la destruction des mondes. C’est le yoga de ce Mahāyogin qui donne la clef de l’alternance de « sommeils » et « d’éveils » qui produisent les allers et retours de ce Brahmā, mais pas n’importe quel yoga, un karmayoga, une « discipline (yoga) qui se vit au sein de l’action (karma) », une discipline qu’il est possible d’allier à l’existence du monde. Comme dans la Bhagavad Gītā, le Mahāyogin n’est pas un renonçant qui rejette totalement le monde, mais un renonçant complètement désintéressé qui accepte paradoxalement de vivre au sein du monde qui se crée et se détruit grâce à lui. Si la création dont il est ici question ne peut être une création unique, ce n’est toutefois pas du tout pour des raisons qui s’apparenterait à la science moderne, mais tout simplement parce que ce n’est pas le Brahmā créateur qui est unique, mais le Mahāyogin dont il dépend et qu’il est normal pour ce Yogin d’entrer en méditation et d’en sortir, et donc de produire et de détruire le monde. Ce modèle hindou, qui subordonne l’acte de création à la discipline spirituelle d’un Mahāyogin, a pour conséquence de relativiser le monde créé qui ne peut être quemāyā, c’est-à-dire qu’il ne peut que dépendre de la magie de ce dieu, du jeu totalement désintéressé de cette divinité. Alors que le récit chrétien confie la création d’un monde unique à un Dieu souverain qui domine le monde et inscrit ce monde dans un drame introduit par le péché d’Adam et Ève, le récit hindou pense le rapport entre le dieu suprême et le monde entermes de jeu. En effet, la métaphore du jeu sert depuis longtemps en philosophie indienne à expliquer une action faite sans but extérieur. On dit alors que la création n’est pas une action (un karman) au sens propre, car le Dieu suprême ne crée pas pour en tirer un bénéfice personnel. Son action est plutôt comparable au jeu d’un enfant ou au plaisir que prend un roi à s’amuser avec ses femmes. Il appartient à la nature même (svabhāvāt) de la divinité de créer et se contente de jouir de ce plaisir.
Un cycle de créations et de destructions que l’on explique également avec les catégories scientifiques de l’époque. Rien de scientifique dans la description du dieu Viṣṇu ou Śiva en train de créer et de détruire. Le modèle sur lequel s’appuie le rédacteur de ce récit est la pratique du yoga. Mais cepraticien utilise de plus la théorie des trois guṇaen provenance de la philosophie Sāṃkhya[14]pour rendre compte des transformations de la matière. Autant les philosophes que les médecins de l’Āyurveda[15]utilisaient ce type d’analyse pour expliquer les modifications de la nature aussi bien physique que psychique. Selon cette théorie, le monde matériel serait constitué comme une corde à trois brins (guṇa) : le sattvaest associé à la pureté, l’intelligence et la clarté ; le rajas, au mouvement, à la dynamique, à la création de l’univers ; et le tamas, à l’ignorance, à la destruction de l’univers. C’est donc l’excès du rajasou du tamasqui explique en définitive sur un ton quasi-scientifique la transformation de la matière en direction de la création ou de la destruction.
Une utilisation de multiples symbolismes, mais intégrés au yoga de la divinité suprême. Le récit de création des Purāṇa utilise des symbolismes plus anciens que l’on trouve dès le Veda. Il y a entre autres le thème de l’œuf cosmique, celui de l’embryon d’or, celui du géant primordial (puruṣa), celui du lotus qui donne naissance au monde, celui du sanglier cosmogonique qui plonge dans les eaux de l’océan pour en retirer ce morceau de glaise qu’est la terre[16]. Ce qu’il importe de reconnaître, c’est que ces symboles doivent être lus à l’intérieur d’un cadre balisé par le yoga du dieu suprême. C’est à l’intérieur de ce yoga qu’ils deviennent signifiants et parce qu’ils sont portés par le mouvement cosmique que ce yoga détermine.
La création est un acte répétitif.Alors que, dans l’hindouisme (comme dans le bouddhisme et le jaïnisme), la libération est un acte unique, décisif, dont la portée est permanente, la vie de tous les jours est un saṃsāra, un monde fluide qui coule sans jamais s’arrêter comme une rivière qui se jette dans l’océan. Le monde à l’indienne est aussi līlā, jeu de la divinité suprême, comme il vient d’être souligné. Tout à l’opposé du monde selon la Bible, ce monde fait partie de la māyā, c’est-à-dire de la magie que ce dieu projette à répétition devant les humains qui en sont les spectateurs ébahis. Ce monde demande à être reproduit indéfiniment, comme le sont les représentations théâtrales, ce qui ne veut pourtant pas dire que ce spectacle n’est pas sérieux, qu’il n’est pas instructif, qu’il n’aide pas les humains à croître en sagesse.
Conclusion provisoire. L’ensemble des remarques qui précèdent cherchent à permettre à un lecteur ordinaire de comprendre les éléments qui spécifient le récit de création que l’on peut découvrir dans les Purāṇa. Bien qu’il y soit également question de création, le modèle yogique façonne une vision du monde diamétralement opposée à celle qu’on découvre dans la Bible. Les explications utilisant le système des guṇaissu du Sāṃkhya confèrent en outre aux cosmogonies purāṇiques une impression de science qui n’a toutefois rien de comparable avec ce qu’apporte l’astrophysique. Il importe donc d’examiner de plus près ce qui donne au discours scientifique concernant l’apparition du monde son caractère vraiment spécifique.
Le monde scientifique moderne et le Big Bang initial
Pour présenter le point de vue de la science contemporaine, n’étant pas du tout spécialiste de ces questions, je me contenterai de rappeler certaines données qui figurent dans certains travaux du célèbre vulgarisateur canadien Hubert Reeves. Ce scientifique tente d’exprimer en formules pédagogiquement attrayantes, mais aussi précises que possible du point de vue de l’astrophysique, l’essentiel du discours académique actuel concernant l’histoire de l’univers[17].
— Une présentation succincte de l’hypothèse d’un Big Bang initial
Selon la science actuelle, l’histoire de notre univers débute il y a environ quinze milliards d’années. C’est en 1928 que la science a proposé l’hypothèse d’un univers en expansion. Voici comment Reeves résume cette vaste histoire :
« Il n’y a, d’une part, aucun organisme vivant, aucune molécule, aucun atome, aucun noyau, et, d’autre part, aucune planète, aucune étoile, aucune galaxie. Il s’agit d’une grande purée dans laquelle nagent ce que les physiciens appellent des ‟particules élémentaires”. On peut se les représenter comme des ‟billes” microscopiques, sans structure, sans architecture, sans pedigree. Tout au long des ères, ces particules vont s’associer pour former des systèmes complexes. Ces nouvelles unités vont elles-mêmes se regrouper pour créer des systèmes plus évolués encore. Or, plus un système est complexe, plus il est capable d’agir sur son entourage et plus il est ‟performant”. Le système le plus évolué à notre connaissance, c’est l’être humain » (Poussières d’étoiles, p. 21-23).
Dans ce chaos initial, précise alors Reeves, il existait des myriades de particules, d’abord des électrons et des quarks. « Au début, isolées et indépendantes, elles erraient dans un magma chaotique » (ibid., p. 24).
« …les quarks s’associent trois par trois pour engendrer les nucléons dans la grande purée initiale de l’univers. De vastes nappes de matière s’assemblent pour formes des galaxies et des étoiles. Des dizaines de protons et de neutrons se combinent pour former des noyaux atomiques à l’intérieur du brasier stellaire. L’histoire va se poursuivre dans les grands froids interstellaires où la matière de l’étoile est projetée après sa mort. Cet espace devient un gigantesque laboratoiregouverné par la force électromagnétique… » (ibid., p. 26).
Une activité fébrile se poursuit : les noyaux capturent des électrons pour devenir des atomes et les atomes s’associent pour former des molécules. L’eau, relative simple, joue un rôle primordial dans la formation de la vie autant végétale qu’animale. Des molécules plus complexes apparaissent dont l’alcool éthylique, une structure détectée dans notre Voie lactée aussi bien que dans les galaxies voisines. En même temps que les molécules interstellaires,
« les premiers grains de poussière apparaissent dans les lambeaux de matière éjectée des étoiles mortes. Ce sont de petits corps solides aux dimensions microscopiques. Ces grains de poussière, par myriades, se répandent dans l’espace et obscurcissent de vastes régions du ciel. Plus tard, à l’occasion de la naissance d’une nouvelle étoile, ils vont s’associer pour former des planètes rocheuses, comme la Terre.
C’est à la surface de telles planètes que se déroulera la phase suivante de l’organisation de la matière. La présence de nappes océaniques va jouer un rôle primordial. L’eau crée des conditions hautement favorables aux jeux des combinaisons atomiques et moléculaires » (Poussières d’étoiles, p. 28-29).
Dans cet océan apparaissent des molécules de plus en plus complexes, puis des systèmes encore plus complexes aux propriétés inconnues jusque-là, comme celles de s’alimenter ou de se diviser pour se multiplier…
De telles données supposent qu’il y a eu à l’origine de ce mouvement d’expansion une gigantesque explosion initiale que les Américains ont appelée « Big Bang » (Patience dans l’azur, p. 47). Il faut tout de suite ajouter qu’aucun scientifique n’affirme savoir exactement ce qu’a été le Big Bang. Il s’agit d’une hypothèse qui s’appuie d’abord sur les travaux de Edwin Hubble démontrant à partir de 1924 que la plupart des galaxies s’éloignent de nous. En s’appuyant sur la théorie de la relativité généralisée d’Einstein, des chercheurs ont alors converti l’image d’un univers en expansion en une théorie cohérente. En 1948, George Gamow s’appuie sur ces données pour affirmer que si cette théorie était correcte, il devait inéluctablement exister encore à l’état fossile des traces de ce rayonnement très puissant[18]. Or, un tel rayonnement fossile a effectivement été détecté en 1965 par le satellite COBE (Cosmic Background Explorer) et son existence a été confirmée en 1992 par une image de ce même satellite (Les artisans.., p. 33-37) qui s’est par la suite encore précisée. Après avoir esquissé les différentes théories proposées, Reeves conclut : « le Big Bang émerge glorieusement à la tête du palmarès. Aucun autre modèle ne lui vient à la cheville quant à l’aptitude à réaliser des prévisions confirmées après coup par les observations — critère fondamental de la méthode scientifique » (ibid., p. 39). Le monde était donc à ses débuts totalement chaotique, c’est-à-dire dénué d’organisation (ibid., p. 34). Et ajoute Reeves, « …l’idée d’un univers primordial chaud, dense, lumineux et chaotique est hautement crédible pour un esprit averti et critique » (ibid., p. 35).
À la lumière des données qui viennent d’être rapidement évoquées, il devient difficile de distinguer la matière inerte de la matière vivante, si bien qu’une définition plausible de la vie pourrait être la suivante : « cette tendance mystérieuse et universelle de la matière à s’associer, à s’organiser, à se complexifier » (Les artisans…, p. 30). Reeves résume ainsi le mouvement ou la « vie » qui anime la matière à la suite de l’explosion initiale :
« Au début de l’univers, ces forces étaient en quelque sorte en léthargie. Les très hautes températures de cette époque leur interdisaient toute activité organisatrice. C’étaient le chaos. Puis, tour à tour, et à leur rythme, ces forces sont mises à l’œuvre.
Elles ont construit, par étapes successives, ce que l’on pourrait appeler ‟l’infrastructure de la conscience” » (ibid.).
Les protons et neutrons, ainsi que les noyaux, sont l’œuvre des forces nucléaires. Les atomes et les molécules sont l’œuvre de la force électromagnétique. Les étoiles et les galaxies sont l’œuvre de la force de gravité, tout comme d’ailleurs notre système solaire.
« Nous savons aujourd’hui que ces forces existent partout dans l’univers et qu’elles ont, en tout point, la même intensité. Aussi loin que nous portions notre regard, la présence des galaxies et des étoiles nous apprend que la gravité est à l’œuvre. L’analyse de la lumière émise par les quasars à l’autre bout de l’univers nous certifie que, là-bas comme ici, les atomes sont édifiés par le même jeu de la force nucléaire (pour le noyau) et de la force électromagnétique (pour le cortège des électrons). Tous nos éléments chimiques se retrouvent à la surface des étoiles, et l’on n’a jamais détecté dans l’univers une seule variété d’atome qui n’existe pas dans nos laboratoires » (ibid., p. 30-31).
Reste à savoir si cette évolution est le fruit du hasard ou correspond à une sorte de nécessité. Commentant le célèbre mot de Démocrite il y a deux mille cinq cents ans, « Tout arrive par hasard et par nécessité », Reeves évoque d’une part la théorie de la gravitation universelle qui a enivré l’esprit humain et lui a donné l’impression que le monde pouvait en quelque sorte être réduit à un ensemble de lois inéluctables. Il affirme, d’autre part, que la biologie contemporaine avec sa théorie de l’évolution et de la sélection naturelle oblige en même temps à tenir compte de « l’action aveugle d’un ensemble de mutations génétiques aléatoires » (Malicorne, p. 90 ; voir p. 88-92). Conscient des limites des deux théories prises isolément, Reeves ajoute aussitôt :
« Comme les raideurs des enfants de la pure nécessité, le fouillis des enfants du pur hasard nous montre à quel point ces deux pôles, pris séparément, sont incapables de rendre compte de la richesse et de la splendeur du monde réel. Pour comprendre l’avènement, dans l’univers, de structures toujours plus organisées et plus performantes, il nous faut chercher plus loin » (ibid., p. 92).
« Les développements récents de la physique et, en particulier, la naissance de “la théorie du chaos”, nous permettent de comprendre comment les lois coexistent avec la dimension ludique de la nature. Et comment la présence simultanée des deux pôles “hasard” et “nécessité” est indispensable à l’inventivité et à la créativité du monde.
Le rôle des lois n’est pas de sélectionner un avenir inexorable. Leur pouvoir exécutif est, à long terme, nettement insuffisant. À partir de l’état présent, elles se contentent d’élaborer un ensemble de possibles, tous compatibles avec la législation en cours. Au-delà de l’horizon prédictif, s’étendent les espaces de liberté » (ibid., 102).
Il s’agit évidemment d’un simple survol qui devrait être complété par la lecture des livres de Reeves. Cela suffit pour tirer quelques conclusions qui nous aideront à bien distinguer le discours religieux du discours scientifique.
— Quelques réflexions sur le récit de création inspiré par la science
Une observation capitale : la croissance de la complexité, mais d’après un modèle qui est toujours à revoir. Quand Reeves veut caractériser d’un trait l’apport des observations scientifiques des cent dernières années, il parle de l’apparition croissante de la complexité. Il s’agit selon lui du modèle le plus capable actuellement de tenir ensemble les observations qui ont été faites jusqu’ici.
« Mais, rappelons-le — ajoute-t-il immédiatement — en science rien n’est jamais définitivement acquis. Tout peut changer du jour au lendemain. Cette précarité de la science est, en fait ce qui fait sa force ; contrairement aux discours dits de vérité, elle peut toujours s’adapter. Au cours des progrès et des ‟régressions” (on pourrait dire aussi regrets), elle avance. C’est bien ce qui la rend si excitante ! » (Les artisans…, p. 39).
La science s’appuie sur des faits observables, mais s’abstient de parler du sens de la création. Lors des conférences qu’il donne sur le Big Bang et l’état chaotique initial de la matière, puis de l’apparition de structures de plus en plus complexes, Reeves dit devoir souvent rappeler à ses auditeurs que « si la science nous apporte des faits avec une certaine crédibilité, par contre elle est incapable de par sa méthodologie propre (qui par ailleurs fait sa force), d’aborder le sujet du ‟qu’est que ça veut dire ?”, ‟qu’est-ce que ça implique sur la nature du cosmos ?” (Les artisans…, p. 24-25). Autrement dit, l’interprétation philosophique du phénomène de la croissance de la complexité échappe complètement au discours de la science. Les questions du sens et de la transcendance n’entrent pas dans son champ de vision. Il faut séparer les faits de l’interprétation de ces faits (voir ibid., p. 37 ; également Malicorne, p. 167-183). Alors que les textes religieux comme ceux de la Genèse et des Purāṇa posent d’emblée la question du sens de la vie humaine, l’approche scientifique cherche uniquement à mettre en relation des observations factuelles de plus en plus pointues sans se préoccuper du sens ultime que ces observations pourraient avoir et de l’utilisation que l’on pourrait en faire. « La science, en tant que science, ne s’intéresse pas au problème des ‟valeurs”. Elle est indifférente aux questions de ‟bien” et de ‟mal”. Elle ne porte pas de jugements moraux » (Malicorne, p. 170). Puis pour être sûr de se faire comprendre, Reeves va encore plus loin en réponse à une question de Edmond Blattchen :
« “Qu’est-ce qu’il y avait avant le Big Bang ?” demande-t-on souvent. Le Big Bang ne décrit pas, comme on le pense souvent, l’origine du cosmos — nous ne savons même pas si ces mots ont un sens — mais simplement la limite de nos connaissances actuelles. Il définit les frontières de la terra incognita cosmique. Grâce aux instruments d’observation de plus en plus performants et aux théories façonnées à partir de ces observations, ces frontières reculent. C’est un processus qui vraisemblablement restera indéfiniment en évolution » (Les artisans…, 40-41).
La science ne doit jamais se muer en scientisme. Le point de vue de Hubert Reeves est limpide : il refuse d’ériger la science en une sorte de nouveau dogme qui ferait le contrepoids des discours religieux. Il est exact de dire que l’essor de la science a coïncidé avec la perte d’influence des religions, mais il est faux de prétendre que la science serait une sorte de super-religion capable enfin de libérer l’homme de toutes ses angoisses. Il a été un temps où la science avait justement cette prétention et c’est ce qu’on appelle le « scientisme ». Il est clair que, pour Reeves, la science n’est pas une panacée et ne saurait se substituer à la religion, ni même donner du sens aux découvertes dont elle est responsable (Les artisans…, p. 17-20)[19].
Conclusion provisoire. Les réflexions de Reeves obligent à beaucoup de nuances au plan scientifique. Dans l’enthousiasme que suscitent les découvertes scientifiques de l’astrophysique, on adopte parfois sans trop s’en rendre compte, et au nom même de la science, une position aussi naïve que l’a été le scientisme des XVIIIeet XIXesiècles. Il ne suffit pas de rejeter une forme d’ingénuité religieuse pour adopter une attitude épistémologiquement crédible en science. Il peut arriver qu’une certaine science ne fasse que remplacer une croyance religieuse non critique et que l’on « croie » en la science aussi naïvement que l’on croyait jadis aux dogmes religieux.
Conclusion
Trois récits composés à partir de points de vue radicalement différents et trois visions divergentes de l’homme et du monde. Le récit biblique raconte ce que Dieu a fait à l’origine. Sans doute au confluent de diverses traditions, le récit qui nous est parvenu paraît avoir été authentifié par des prêtres juifs censés connaître l’œuvre de Dieu dans ses menus détails et capables d’en rendre compte. La tradition hindoue considère plutôt le sage Mārkaṇḍeya comme l’ultime garant du récit purāṇique de créations et de destructions du monde. En raison de l’insigne faveur d’une extrême longévité qu’il a jadis reçue du dieu suprême, Mārkaṇḍeya a bénéficié d’une expérience personnelle du temps divin. Il a lui-même été témoin du sommeil et de l’éveil de la divinité lors du kalpaet c’est pourquoi les hindous considèrent que son récit est véridique[20]. Tous les autres sages ne font que reprendre à leur façon le premier récit qu’a fait Mārkaṇḍeya. Contrairement à ces deux récits religieux, les livres de Hubert Reeves rendent compte des travaux de chercheurs qui ont participé à des degrés divers à des expériences scientifiques. C’est un récit qui s’améliore au fil des années et qui devra éventuellement être corrigé à mesure que progressent les travaux dans le domaine de l’astrophysique.
Au-delà de ce qu’ils disent concernant l’origine de la création, les récits religieux se proposent d’abord de répondre à des interrogations portant sur le sens de la vie dans le monde. Le récit biblique cherche à expliquer l’omniprésence de la souffrance dans un monde qu’à l’origine Dieu a créé bon et le fait en invoquant une première faute commise par l’homme. Le récit hindou parle d’un monde où bons et méchants s’opposent constamment à l’image des dieux et de leurs antiques adversaires les asura. Il constate que ce monde est sans cesse ballotté au gré des vagues du fleuve de la vie, le saṃsāra, et qu’il est soumis à un incessant va-et-vient que l’on appelle les renaissances ou la transmigration. Même Brahmā, le créateur, est un dieu qui revient sans cesse à l’existence, un dieu qui renaît à mesure que s’écoulent les mahākalpa. Le monde est māyā, magie de la divinité. En tant que manifestation du jeu de la divinité suprême, il doit nécessairement être relativisé. Au contraire des deux récits religieux, le récit scientifique n’a aucunement la prétention de faire découvrir le sens de l’existence. Ce serait même une erreur scientifique que de se situer sur ce plan. La science s’interroge seulement sur ce qui a pu se passer aussi loin que l’on puisse remonter dans le temps, grâce aux observations que permettent les outils de recherche les plus modernes (télescopes, accélérateurs de particules, calculs réalisés à partir d’hypothèses confirmées par de telles observations, etc.). Il s’agit d’un compte rendu de recherches, aussi factuel et neutre que possible, quoique parfaitement conscient des limites de ce dont un humain est capable.
Pour lire correctement les récits concernant l’apparition du monde, il faut donc se demander à quelle question chaque récit entend répondre. Alors que la juste interprétation de la réponse donnée en terme de Big Bang exige une certaine initiation aux sciences physique et chimique, celle du récit composé en contexte religieux suppose inversement une initiation aux textes religieux de la religion concernée. Il faut prendre conscience qu’il y a seulement un peu plus de cent ans, l’être humain n’était pas en mesure de se poser les questions auxquelles la science tente de répondre aujourd’hui, tout simplement parce qu’il ne disposait pas encore des outils nécessaires pour le faire. Impossible, par exemple, d’imaginer que l’histoire de la création puisse réellement remonter à des milliards d’années quand on ne possède pas encore les instruments susceptibles de produire des mesures crédibles à cet effet. Même les chiffres faramineux que l’on rencontre dans les Purāṇa hindous (les kalpamesurés en myriades d’années divines, etc.) sont le fruit de spéculations philosophiques dont la visée manifeste est de créer un paradoxe susceptible de faire basculer l’être humain dans le monde de l’illusion ou de la māyā. Elles ne correspondent pas à des hypothèses qui demandent impérativement à être confirmées par des observations précises. Cependant, du fait que les récits religieux répondent, chacun à leur façon, aux éternelles questions de la souffrance humaine et de la signification de l’existence humaine, il est possible que des scientifiques, pourtant bien au fait des limites de leur science, se reconnaissent également dans l’acuité des problèmes posés dans ces récits et continuent de les lire encore aujourd’hui avec intérêt.
Si l’on veut mesurer la portée des trois récits d’origine différente étudiés dans cet article, il faut également prendre conscience que chacun de ces récits est composé à partir d’un ou de modèles précis. Pour parler de création, le texte biblique fait appel à un Dieu conçu sur le modèle d’un souverain universel ou encore d’un potier. Le texte purāṇique utilise comme modèle de Dieu créateur un yogin qui demeure actif au sein du monde (le karmayogin). Construit sur une alternance entre période d’éveil et période de sommeil, période de déconcentration et période de concentration, ce yogin fait littéralement apparaître et disparaître le monde terrestre, à la façon d’un pratiquant de yoga qui regarde le monde autour de lui puis tourne son regard vers l’intérieur, ce qui a pour effet de le faire disparaître à ses yeux. À l’autre extrême, le récit de création que produit l’homme ou la femme de science est nécessairement inachevé et même inachevable, car son récit dépend des contraintes liées à des outils d’observation. On refuse habituellement d’en parler comme d’un mythe, puisqu’il s’agit tout simplement d’un compte rendu de recherche. De toute façon, il s’agit d’une création sans créateur, parce que le scientifique qui produit un tel récit n’a comme modèle que le chercheur qu’il est lui-même, un chercheur qui parle le langage des hypothèses valides parce que vérifiables par des observations dûment contrôlées. « Quand le pape Pie XII a voulu y voir la preuve du Fiat Lux[Que la lumière soit !], le chanoine Georges Lemaître, un des pères du Big Bang, l’a intelligemment mis en garde contre cette conclusion », rappelle Reeves (Les artisans…, p. 35).
Il faut de plus prendre conscience que, peu importe leur origine, les préoccupations qu’ils reflètent, les convictions qu’ils véhiculent, les récits religieux reposent sur une forme quelconque d’extrapolation. Ces récits deviennent populaires du fait qu’ils paraissent crédibles aux oreilles de leurs auditeurs. Par définition, leur auteur ne peut avoir été témoin de ce qui s’est passé à l’origine. Tout récit de création existe de par la crédibilité que l’on accorde à un narrateur qui se situe à une distance presque infinie du fait narré. Un récit de création est un récit sans existence possible d’un sujet narrant crédible à cent pour cent. Tel est exactement le statut paradoxal d’un récit d’origine religieuse : un récit qui n’est que récit sans possibilité de vérification par un témoin autre que divin ou bénéficiant d’une faveur insigne. À moins que l’on accorde inconsciemment ce statut à l’homme ou à la femme de science, la théorie du Big Bang n’est pas et ne peut être un récit de création comparable aux récits religieux. Le Big Bang est une appellation commode et sans doute trompeuse. Le récit que certains vulgarisateurs fabriquent alors devient forcément le fruit d’hypothèses qui se situent hors du champ de la science qui, elle, se contente de supposer qu’il y a quinze milliards d’années environ, il a dû se passer quelque chose d’énorme. Mais même les hypothèses les plus scientifiques, celles qui reposent sur les conclusions de l’astrophysique la plus avancée, ont souvent besoin d’un coup de pouce pour devenir populaires et c’est cette impression d’un quelque chose de « plus » qui constitue le véritable attrait du Big Bang. En toute rigueur, il faut donc bien faire la différence entre les récits de création d’origine religieuse et les quasi-récits de création qui s’inspirent de la science.
[1]Le présent exposé a été précédé de deux autres touchant les questions du mythe et de la cosmologie : « Pourquoi parler de ‟mythe” dans l’étude des religions ? » et « La notion de ‟cosmologie” appliquée à l’étude des religions de l’Inde ». On les trouvera également sur le site du CROIR à l’adresse https://croir.ulaval.ca/sous l’icône « Mythe, rite… ». Leur lecture devrait aider à cerner les questions traitées ici.
[2]Les citations que l’on trouvera à l’intérieur de ce résumé proviennent de cette traduction (Traduction œcuménique de la Bible. Édition intégrale. Ancien Testament, Paris, Cerf, 1979, p. 43-50).
[3]Voir la note fde la TOB, p. 46.
[4]Pour comprendre la portée du mot « mythique », on se reportera à l’article cité en note 1.
[5]J’ai déjà présenté les plus importants dans « La notion de ‟cosmologie” appliquée à l’étude des religions de l’Inde » (référence en note 1). Voir également « Des récits de création dans l’hindouisme ? », sur le site du CROIR https://croir.ulaval.ca/, sous l’icône « Hindouisme ».
[6]Pour présenter ces récits, je m’inspire de Madeleine Biardeau, Études de mythologie hindoue. Tome I. Cosmogonies purāṇiques, Paris, École Française d’Extrême Orient, 1981, qui est la seule étude élaborée qui a été réalisée jusqu’ici.
[7]Chāndogya Upaniṣad(3,19,1), cité par Biardeau, Études de mythologie…, p. 34.
[8]Mārkaṇḍeya-Purāṇa, chap. 43,8-11, selon Biardeau, Études de mythologie, p. 36. On trouvera le même passage dans F.E. Pargiter, The Mārkaṇḍeya Purāṇa, translated with notes, Indological Book House, 1969 [Calcutta, 1904], chap. 46.
[9]Brahmā est la personnification masculine du Brahman neutre qui transcende tout d’après les Upaniṣad, qui sont les derniers textes du Veda. Le grand Yogin dont il est ici question dépasse ce Brahman neutre et le Brahmāmasculin qui préside à la création du monde.
[10]D’après le mythe, le dieu suprême se couche sur le serpent Śeṣa (ou Reste), lui-même reposant sur l’ekārṇava, les eaux de tous les océans réduites alors à un seul (eka) océan (arṇava). Ce serpent et l’onde unique sur lequel il repose symbolisent le monde matériel, considéré aussi comme la māyādu dieu suprême.
[11]Biardeau, Études de mythologie…, p. 62.
[12]Le Viṣṇu Purāṇadate peut-être du Vesiècle de notre ère. Voir The Viṣṇu Purāṇa, Text in Devanāgarī, English translation and notes by H. H. Wilson, enlarged and arranged by Nag Sharan Singh, 2 vols, Delhi, Nag Publishers, 1980, 1989 [1840] ; Prose English Translation of Vishnupuranam(based on Professor H.H. Wilson’s translation), by Manmatha Nath Dutt, Varanasi, The Chowkhamba Sanskrit Series Office, 1972 [1894]. La traduction des deux passages retenus provient de Biardeau, Études de mythologie, p. 99-100 et 101. Ces traductions ont également été utilisées dans un article intitulé « La purification par le feu et l’eau dans Rangbhûmiet Godân, deux romans de Premchand », qui doit être publié dans Fernand Ouellet, dir., Du hindi au français. La traduction de Premchand, un géant de la littérature indienne, Actes du colloque du colloque tenu en mars 2017 au Centre d’études du religieux contemporain, Faculté de droit, Université de Sherbrooke. J’avais accompagné ces traductions de commentaires similaires.
[13]On trouvera des explications supplémentaires à ce sujet dans « La notion de ‟cosmologie” appliquée à l’étude des religions de l’Inde », un article cité à la note 1.
[14]Le Sāṃkhya est la philosophie qui repose sur le « dénombrement » (saṃkhyā) des principes de la réalité.
[15]« Le savoir de la longévité », nom de la médecine classique de l’Inde.
[16]On se reportera au texte ci-haut mentionné intitulé « La notion de ‟cosmologie” appliquée à l’étude des religions de l’Inde » où certains de ces symbolismes ont été développés.
[17]Je citerai les livres suivants : Hubert Reeves, Dernières nouvelles du cosmos. Vers la première seconde, Paris, Seuil, 1994 ; Les artisans du huitième jour, entretiens avec Edmond Blattchen, Bruxelles, Alice Éditions, 2000 ; Malicorne. Réflexions d’un observateur de la nature, Paris, Seuil, 2007 ; Poussières d’étoiles, nouvelle édition, mise à jour, Paris, Seuil, 2008 [1984].
[18]Ainsi résumé par Reeves : « Sil’image d’un univers en refroidissement, suggérée par le mouvement des galaxies, est juste, et sila remontée dans le passé jusqu’à l’ère ardente est justifiée, alors il doitexister dans l’univers d’aujourd’hui une trace de cette époque sous la forme d’un rayonnement millimétrique » (Dernières nouvelles du cosmos, 1994, p. 120, les italiques font partie de la citation). On pourra aussi se reporter à Patience dans l’azur, p. 46-47.
[19]On me permettra d’ajouter que l’on découvre déjà cette tendance dans les Lettres persanesde Montesquieu (1721). Les propos du Persan Usbek décrivent l’enthousiasme ingénu que pouvait créer la science d’un Descartes, d’un Leibnitz ou d’un Newton. Ce que ces nouveaux philosophes avaient fait découvrir à ce musulman dévot, ce sont « des lois générales, immuables, éternelles, qui s’observent sans aucune exception avec un ordre, une régularité et une promptitude infinie », « des principes féconds, dont on tire des conséquences à perte de vue ». Je développe cette idée à propos de la réincarnation dans La réincarnation(Paris, Seuil, coll. Bref, Montréal, Fides, 2000, p. 93-95).
[20]On pourra se reporter à André Couture, La vision de Mārkaṇḍeya et la manifestation du Lotus, Paris, Droz, 2007, en particulier le chap. 3.