par André Couture Université Laval, 18 janvier 2021
Lien vers le PDFLe 14 février, c’est la Saint-Valentin. Dans le Missel quotidien des fidèles du père Feder (1958), saint Valentin est présenté comme « le patron des fiancés ». On dit maintenant que la Saint-Valentin est la fête des amoureux. C’est l’occasion de courir les boutiques et d’acheter un petit rien, question de montrer à la personne aimée qu’on pense toujours à elle. On profite souvent de l’occasion, entre êtres aimés, pour s’échanger des cartes de souhaits, pour offrir à la personne aimée des roses, des chocolats en forme de cœur ou une bouteille de vin. Il arrive aussi qu’on prenne un repas en tête à tête. Chez ceux et celles qui sont romantiques, c’est une fête qu’on privilégie. Ce peut être aussi le moment de songer à relancer son couple. Fête de l’amour, peut-être, et de plus en plus par une sorte d’érosion une fête de l’amitié. Mais en plein milieu de février, comme un peu plus tôt les fêtes de l’Halloween et de Noël, la Saint-Valentin s’impose de nos jours comme une fête surtout commerciale, qui redonne vie à des boutiques qui s’y préparent depuis des semaines et multiplient les propositions de cadeaux.
Selon toute vraisemblance, la Saint-Valentin, telle que nous la connaissons maintenant avec la vente de cartes dans les commerces et l’échange de toutes sortes de petits cadeaux, est ce que les États-Unis en ont fait aux XIXe et XXe siècles. Au Québec, la fête s’est imposée depuis longtemps, très probablement par imitation de ce qui se passait chez nos voisins anglophones du Canada et des États-Unis. En France, la Saint-Valentin ne s’est commercialisée que de façon tardive, soit à partir des années 1980.
Le seul travail d’envergure à avoir été publié sur les origines de la Saint-Valentin est celui du folkloriste français Roger Pinon (1920-2012)[1]. Il en ressort clairement que les fidèles de l’Église catholique ont vénéré de nombreux saints Valentins, dont la fête n’était pas toujours célébrée le 14 février. Le Valentin le plus connu est un moine ou prêtre qui a vécu au IIIe siècle, est devenu l’évêque de Terni en Ombrie (centre de l’Italie) et a été martyrisé sous l’empereur Claude II, dit le Gothique. Pinon note une tendance de l’Église à ramener tous ces Valentins à celui de Rome pour des raisons plutôt disciplinaires qu’historiques. En effet, dans certaines régions de la France et de l’Allemagne, un ou plusieurs autres Valentins sont invoqués entre autres contre la folie, certaines fièvres, l’épilepsie, la peste. Au début du XXe siècle, on parle en France d’une Saint-Valentin en lien avec les amoureux, mais sans que l’on puisse préciser de quel saint Valentin il s’agit. En fait, la coutume pour les galants de donner de petits cadeaux à la femme aimée à l’occasion de la Saint-Valentin semble dans certaines régions remonter aux XIVe-XVe siècles. Un valentin finit par désigner « un jeune homme choisi comme amoureux par une jeune fille pour la Saint-Valentin, et qui devait lui offrir des présents » (p. 46). L’Oxford English Dictionary note qu’en anglais le mot « Valentine » remonte à la fin du Moyen Âge et pourrait avoir été emprunté au français. Un Valentine désigne alors entre autres une personne de sexe opposé tirée au sort à la Saint-Valentin pour être le ou la fiancé(e) pendant l’année en cours, ou un papier plié sur lequel est inscrit le nom de la personne ainsi tirée au sort, ou encore une lettre ou une carte écrite à la main ou imprimée envoyée à la Saint-Valentin à une personne de sexe opposé (p. 51).
En fait, il paraît difficile de déterminer si cette coutume s’est développée d’abord en France ou en Angleterre, et encore plus difficile de savoir s’il y a derrière ces coutumes un véritable saint Valentin, patron des amoureux. On note que ces festivités semblent coïncider avec l’apparition des crocus et l’accouplement des oiseaux, des thèmes que l’on retrouve dans les poèmes que les amoureux s’échangent à cette occasion. On suppose parfois un lien étroit entre la Saint-Valentin et les fêtes de printemps, mais qui ne repose sur aucune preuve décisive. Pinon fait l’hypothèse qu’il pourrait y avoir un lien entre un certain saint Valentin honoré à Padoue (nord-est de l’Italie) et l’instauration vers cette date d’une fête des amoureux, mais avoue que l’on connaît encore trop peu ce saint particulier pour en affirmer quoi que ce soit. Alors qu’en février 1603, François de Sales fustigeait cette coutume au nom de la vie dévote, il est également curieux de noter qu’une biographie du Saint Valentin de Rome rédigée en latin avant la mi-XIIIe siècle ne voyait aucun rapport entre ce saint et les amoureux (p. 53-54). À partir des observations qu’il a réunies, Pinon conclut que le rapport de la Saint-Valentin avec un saint chrétien spécifique paraît encore très nébuleux. Ce serait plutôt dans la haute société qu’une tradition comme celle de l’échange de valentins se serait établie.
On fait parfois remarquer que vers la mi-février, on célébrait à Rome les Lupercales, des célébrations de la fécondité liées au printemps. On parle du coup d’un effort de christianisation de ces rites, mais sans démonstration historiquement satisfaisante et sans que rien ne permette d’établir un rapport quelconque avec la Saint-Valentin. De toute façon, l’existence d’un saint Valentin, patron des amoureux, a paru suffisamment fragile pour que la fête soit rayée du calendrier liturgique romain par le pape Paul VI lors de la réforme de 1969 (bien que parfois conservé par certains calendriers régionaux), ce qui tend à confirmer que les assises historiques du rapport de ce saint avec les amours sont plutôt faibles. En l’état actuel des recherches, Pinon conclut : « La Saint-Valentin contemporaine est typiquement un usage aristocratique descendu au niveau folklorique par étapes et aujourd’hui en voie de mondialisation, une lente appropriation populaire d’un fait de culture écrite » (p. 84). Il ajoute que l’examen auquel il a soumis la fête actuelle « tend à démontrer que les nombreuses incertitudes que l’on constate sur ses origines et ses transformations favorisent la créativité, toujours imaginative, des forces sociales successives qui se sont emparées du thème de la recherche du partenaire en amour : la cour, l’aristocratie, la bourgeoisie nantie, l’artisanat, l’industrie et le commerce » (p. 87).
De toute évidence et, quoi qu’il en soit de ses liens avec un éventuel saint chrétien, la Saint-Valentin est une fête laïque qui, en dépit de l’évocation d’un saint Valentin, n’a rien de religieux. On peut se réjouir que certains trouvent là une occasion de découvrir un partenaire amoureux ou de raviver leur amour. Mais c’est sûrement également une excellente façon d’encourager l’achat chez des commerçants qui en ont bien besoin à cette époque.
[1] Roger Pinon, « La Saint-Valentin : origine, hagiographie, folklore, notamment en France et en Angleterre. Et en particulier en Wallonie », dans Valentins et Valentines (Cercle d’études mythologiques de Lille), Raimbeaucourt, Cercle d’études mythologiques, 2004, p. 30-87. Les indications de page à l’intérieur de ce texte réfèrent à cet article.