André Couture, Université Laval
Dossier réuni en octobre 2025
Résumé : Présentation des quatre textes évoqués dans ce petit dossier et pouvant permettre d’accéder à une première compréhension d’un comportement qu’on a longtemps jugé étrange et qui s’est aujourd’hui banalisé.
David Le Breton est professeur à l’université de Strasbourg et c’est aussi, il me semble, le principal anthropologue à avoir publié de façon intensive sur la nouvelle mode du tatouage et du piercing. Le corps servait dans les sociétés traditionnelles à définir une certaine identité sociale à l’intérieur de règles précises transmises par les ancêtres. Les sociétés occidentales ont longtemps été incapables de saisir le sens de ces marques corporelles et se contentaient le plus souvent de réactions brutales ou de caricatures. Le Breton commence souvent ses propos en évoquant à grands traits l’histoire du tatouage. Mais en tant qu’anthropologue, c’est la signification actuelle de ces marques corporelles dans nos sociétés contemporaines qui l’intéresse et ses livres et ses articles s’appuient sur d’exigeantes études de terrain. Le but de ce texte est uniquement d’orienter le lecteur ou la lectrice qui souhaiterait s’informer sur les raisons d’être du tatouage et du piercing. Aucune recherche d’exhaustivité, mais seulement l’intention de réunir quelques références importantes qui pourraient éventuellement éclairer ceux et celles qui recherchent des informations sur le sujet ou leur servir de tremplin vers des recherches ultérieures.
David Le Breton, Signes d’identité. Tatouages, piercings et autres marques corporelles, Paris, Éditions Métailié, 2002, 225 p.
Intitulée « Le corps inachevé », l’introduction de ce livre dit éloquemment que le corps n’est plus considéré par ceux et celles qui, de nos jours, se font tatouer comme une création en elle-même parfaite et intouchable, mais comme un instrument dont l’humain peut se servir à sa guise pour l’adapter à ses fins personnelles. « Il est désormais pour nombre de contemporains un accessoire de la présence, un lieu de mise en scène de soi. La volonté de transformer son corps est devenue un lieu commun… Le corps n’est plus l’incarnation irréductible de soi mais une construction personnelle, un objet transitoire et manipulable susceptible de maintes métamorphoses selon les désirs de l’individu » (p. 7). Et il poursuit : « Les modifications corporelles ne sont plus comme autrefois le tatouage, une manière populaire d’affirmer une singularité radicale, elles touchent en profondeur les jeunes générations dans leur ensemble, toutes conditions sociales confondues, elles sollicitent autant les hommes que les femmes. Loin d’être un effet de mode, elles changent l’ambiance sociale, incarnent de nouvelles formes de séduction, elles s’érigent en phénomène culturel. Si le tatouage ou le piercing pouvaient encore être associés à une dissidence sociale dans les années 70 ou 80, ce n’est plus le cas aujourd’hui » (p. 9).
La suite des titres des sept chapitres donne une idée du contenu de cette étude.
Chapitre 1 : La fabrique d’identité
Chapitre 2 : Les marques corporelles dans les sociétés occidentales : histoire d’un malentendu
Chapitre 3 : De la dissidence à l’affirmation de soi
Chapitre 4 : L’identité à fleur de peau
Chapitre 5 : Événement ou avènement : la question des rites de passage
Chapitre 6 : Une culture naissante
Chapitre 7 : Les marques corporelles et le nouveau débat du “primitivisme”
On trouve notamment à la fin du livre une abondante bibliographie (p. 217-225).
Dans la suite de ce livre, David Le Breton a écrit plusieurs articles de vulgarisation qui aideront le lecteur ou la lectrice à comprendre la raison d’être des tatouages et des piercings.
David Le Breton, « Tatouages et piercings, un bricolage identitaire », Sciences Humaines, 2002/11, n° 132 (Le souci du corps), p. 110-118.
Ce bricolage identitaire signifie pour Le Breton que l’on n’hésite plus aujourd’hui à changer de peau, qu’émerge sous nos yeux un nouveau phénomène culturel, qu’on peut avoir l’impression d’un rite de passage inédit, que l’on s’oriente vers une affirmation courageuse de sa singularité. Quatre séries de réflexions qui débouchent sur une dernière section intitulée : « S’inventer une mythologie personnelle ». J’ai été d’autant plus surpris de cet intitulé que j’avais déjà tenté de caractériser de la même façon les multiples transformations de la réincarnation à l’heure du Nouvel Âge en disant que cette croyance balisait la route « Vers des mythes de création individuels »[1]. Les deux comportements semblent bien aller dans le même sens. Les peaux individuelles, tout autant que les vies antérieures découvertes entre autres par hypnose, constitueraient alors, chacune à leur façon, des lieux de projection de l’histoire personnelle de l’individu contemporain.
David Le Breton, « Le monde à fleur de peau : sur le tatouage contemporain », Hermès, La Revue, 2016/1, n° 74 (La voie des sens), p. 132-138.
Le Breton introduit ce petit article en discutant de la « Popularisation du tatouage ». « Ces vingt dernières années, note-t-il, le tatouage s’est imposé comme un bijou cutané à la fois valorisé par les acteurs mais banalisé par sa formidable extension sociologique ». Précisant quelques-unes des orientations que le tatouage peut prendre, il intitule tour à tour les sections ultérieures « Mettre son histoire sur sa peau », « Mûrir par son tatouage » et « Attirer le regard ».
David Le Breton, « Douleur et paroxysme. Une anthropologie des limites », Sensibilités 2017/2, n° 3, p. 37-47.
Le Breton aborde cette fois le tatouage sous l’angle de la douleur, mais entend montrer que la douleur est une expérience qui dépasse les limites du corps pour atteindre la personne entière. « Ce n’est pas le corps qui a mal, mais la personne. » Il explore tout à tour le tatouage comme « L’épreuve de la douleur consentie », « La blessure comme œuvre d’art », les scarifications comme des actes de passage, la blessure comme un acte de virilité. Certains éléments de sa conclusion me semblent indiquer la direction que prend cette nouvelle anthropologie : « Si la douleur choisie, celle qui fait mal sans induire la souffrance, est presque toujours associée au rassemblement de soi, à un rappel du fait d’être vivant, réel, présent à soi-même (sport, body art, modification corporelle, etc.), à l’inverse la douleur imposée par la maladie ou les séquelles d’un accident, surtout si elle dure, brise les frontières de l’individu. » « La douleur n’induit aucune expérience obligatoire, aucun tracé biologique ne la programme. L’individu sans le savoir continue à être l’artisan de ce qu’il vit. Si elle s’impose à lui, elle le fait à travers le prisme de son histoire personnelle, la souffrance qu’il éprouve est aussi modulée par ses ressources intérieures ou celles qu’il sait mobiliser à son entour. »
[1] André Couture, La réincarnation au-delà des idées reçues, Paris, Les Éditions de l’Atelier, 2000, p. 158-160.