Lorsque l’hôtel ultra-chic Moxy ouvrira ses portes à San Diego dans les prochains jours, les chambres seront dotées des commodités habituelles : un réveil, un sèche-cheveux, un bureau et une télévision à écran plat. Mais vous ne trouverez pas de Bible dans le tiroir de la table de chevet. Croiriez-vous que nous sommes en présence d’un cas d’offre et de demande laïques ?
Le Los Angeles Times du 6 décembre dernier nous apprenait que l’industrie hôtelière américaine réduisait sa distribution de littérature religieuse dans ses chambres. Il est toutefois difficile de savoir si cette réduction est le résultat d’un désintérêt des clients ou d’un virage laïque de l’industrie hôtelière. La chaîne Marriott International, la plus grande société hôtelière au monde, qui fut fondée par des mormons pratiquants, fournit habituellement une Bible et un Livre de Mormon dans les chambres de chaque hôtel de sa franchise. La société a récemment décidé qu’aucun matériel religieux ne serait désormais offert dans deux de ses plus récentes marques, les hôtels Moxy et Edition, destinées aux milléniaux (les jeunes âgés entre 11 et 33 ans), les livres religieux ne correspondant tout simplement pas à la personnalité de ces marques. La décision de Marriott reflète une tendance plus générale qui consiste dans l’industrie hôtelière à interrompre sans mot dire la longue tradition consistant à offrir dans chaque chambre du matériel religieux.
Cette tradition remonte en fait au 14 septembre 1898, à Boscobel, dans le Wisconsin. Le directeur de l’Hôtel Central demande à deux commis voyageurs de cet État, John H. Nicholson de Janesville et Samuel E. Hill de Beloit, de partager une chambre, puisque l’hôtel accueillait une convention de bûcherons et affichait complet. Lorsque les deux hommes ont découvert qu’ils étaient tous les deux chrétiens, ils ont lu la Bible ensemble et ont discuté de la création d’une association de voyageurs chrétiens. Le 1er juillet 1899, les deux vendeurs, auxquels s’est joint William J. Knights, se rencontrèrent à Janesville et fondèrent la Gideon International. En 2016, la fondation dépensait environ 100 millions de dollars dans la distribution de Bibles dans des lieux publics comme les hôtels, les prisons, les hôpitaux, soit environ le même montant qu’en 2015.
Ceci ne veut pas dire que la demande ait toujours été au rendez-vous. Des hôtels comme la chaîne Travelodge en Grande-Bretagne ont retiré les Bibles de leurs chambres, soi-disant pour ne pas faire de discrimination entre les religions, précisait un communiqué de la compagnie. Intercontinental Hotel Group, la société britannique qui exploite, entre autres, la marque Holiday Inn, n’exige plus que les gestionnaires de ses hôtels (plus de 5 000) mettent des Bibles dans chaque chambre. Une enquête récente menée par une maison de sondage a constaté que le pourcentage des hôtels qui offrent des livres religieux dans les chambres a diminué au cours de la dernière décennie, passant de 95 % en 2006 à 79 % en 2016. Les experts de l’industrie invoquent l’impératif d’attirer de jeunes voyageurs américains, moins dévots que leurs parents, et le noble souci de ne pas offenser les voyageurs internationaux d’autres confessions. Côté pratique, beaucoup de nouveaux hôtels installent à côté du lit une étagère plutôt qu’une table de nuit avec tiroir. Disons qu’une copie des Écritures se dissimule moins aisément sur une étagère que dans un tiroir… Mais un autre facteur ne doit sans doute pas être négligé : certains groupes athées ont fait des pressions pour que les hôtels suppriment des livres religieux jugés indésirables.
L’an dernier, la Freedom From Religion Foundation, un groupe à but non lucratif qui promeut la séparation de l’Église et de l’État, a écrit à quinze grandes sociétés hôtelières en leur demandant d’enlever les Bibles des chambres d’hôtel. Durant la dernière année, le groupe a réussi à obtenir que les hôtels exploités par l’Arizona State University et le Northern Illinois University obtempèrent. La fondation a même créé un autocollant ainsi libellé : « Avertissement : la croyance littérale en ce livre peut mettre en danger votre santé et votre vie », et a encouragé ses partisans à les coller sur toutes les Bibles trouvées dans les chambres d’hôtel.
Une demande de plus en plus laïque jointe à un légitime désir de demeurer à l’écoute des clients tend actuellement à modifier la longue tradition de collaboration entre religion et commerce. Voici de quoi réfléchir : saviez-vous que le nouveau Trump Hotel de Washington DC offre non seulement des Bibles dans chacune de ses chambres, mais qu’il fournit même sur demande d’autres livres religieux comme le Coran (y compris le tapis de prière), le Talmud, la Bhagavad Gita. La prochaine fois que vous dormirez à l’hôtel, demanderez-vous à ce que l’on mette à votre disposition un livre religieux de votre choix ?
Pour en savoir plus :
- Duin, Julia, « Are millennials leading the way in rejecting Gideon Bibles ? Los Angeles Times says yes », Get Religion, 9 décembre 2016 https://www.getreligion.org/getreligion /2016/12/8/are-millennials-rejecting-gideon-bibles-the-los-angeles-times-says-yes consulté le 23 janvier 2017.
- Martin, Hugo, « More hotels are checking out of the Bible business », Los Angeles Times, 4 décembre 2016, http://www.latimes.com/business/la-fi-hotel-bibles-20161204-story.html consulté le 23 janvier 2017.
- Turkel, Stanley, « Bibles in Hotel Rooms », MauMau, http://www.bluemaumau. org/bibles_hotel_rooms, consulté le 23 janvier 2017.
Source de la photo :
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