Dans son dernier film, Spectre (2015), James Bond, l’espion fictif du romancier Ian Fleming, effectue une mission à Mexico à l’occasion de la fête des Morts. Après le succès du film, la ville de Mexico décide l’année suivante d’inaugurer cette période de festivités par une parade des Morts qui fut un succès et réunit des dizaines de milliers de personnes. Le Día de los Muertos (Jour des Morts) est sûrement l’une des manifestations culturelles distinctives du Mexique. En 2008, l’UNESCO l’a même inscrit au patrimoine culturel immatériel de l’humanité. L’importance du culte des morts explique peut-être que ce pays catholique, où les saints faisaient déjà l’objet d’une grande vénération, ait vu apparaître ces dernières années cette nouvelle sainte qu’est la Santa Muerte. Croiriez-vous que, dans les Amériques, le culte rendu à cette sainte représente actuellement le nouveau mouvement religieux connaissant la plus grande progression ?
Plusieurs spécialistes font remonter l’origine de ce culte à la période précolombienne : les Aztèques pratiquaient alors deux fêtes des Morts présidées par la déesse Mictecacihuatl, la Dame de la Mort. Avec l’arrivée du catholicisme et l’interdiction de pratiquer des rituels païens, il est vraisemblable que la Sainte Mort ait subsisté en s’intégrant à des rites chrétiens. Quand, dans les années 1790, un groupe d’inquisiteurs fut envoyé au centre du Mexique pour enquêter à propos du culte d’un personnage squelettique, les fidèles indigènes les informèrent que le véritable nom de cette sainte était Santa Muerte. Les inquisiteurs détruisirent immédiatement l’autel et forcèrent ce culte à entrer dans la clandestinité pendant les deux siècles suivants. On pense que cette sainte est réapparue en 2001 lorsque Enriqueta Romero, une vendeuse de quesadillas d’un quartier populaire de Mexico, décida pour l’Halloween d’installer devant sa maison une effigie grandeur nature de la Santa Muerte. Des voisins, puis des visiteurs, y déposèrent des offrandes de téquila et de cigarettes. Au fil des années, les sanctuaires publics se sont multipliés dans le pays. Aujourd’hui, on trouve des dévots de la Santa Muerte partout en Amérique latine, et même aux États-Unis. On estime leur nombre à plus de dix millions.
La Santa Muerte est couramment représentée sous la forme d’un squelette coiffé d’une auréole avec dans ses mains des symboles évoquant la précarité de la vie et du monde (faucille, sablier, globe terrestre, etc.). La couleur de ses vêtements ou des lampions utilisés sur ses autels varie avec les requêtes : rouge pour l’amour, or pour la prospérité, blanc pour la paix, bleu pour le succès dans les études, violet pour la santé, etc. Il arrive que les offrandes surprennent : boissons alcoolisées, cigares et cigarettes, cocaïne, encens, bijoux ou jouets.
Ceux et celles qui honorent cette nouvelle sainte savent que la vie est difficile, que tout le monde a le droit à un coup de pouce, et que les humains ne peuvent échapper à la mort. Cette sainte ne juge jamais. Elle incarne plutôt la mort en tant que seule force devant laquelle tous les hommes sont égaux. Son rituel reprend ce qu’on trouve déjà dans le catholicisme comme le catéchisme, l’eucharistie, le sermon, bien que d’autres éléments s’en écartent, par exemple un signe de croix à l’envers accompagné de la prière : « Au nom du Père, du Fils et de l’Esprit du (commandant) Pantera, Notre Mère, qui est sur Terre ». Même si ses dévots se considèrent catholiques, la Santa Muerte reste toutefois prête à exaucer des prières jugées par ailleurs suspectes comme le désir de vengeance ou la protection contre la rigueur de la loi.
Le culte à la Santa Muerte a souvent été associé au crime organisé. On rapporte même que cette sainte accepte les sacrifices sanglants. On trouve beaucoup de ses fidèles dans les prisons mexicaines, ce qui lui valut le surnom de « sainte patronne des narcos ». Au début, les dévots provenaient des métiers à haut risque (prostituées, policiers…), mais petit à petit se sont joints des commerçants et des familles, de sorte que ce mouvement s’est peu à peu transformé en phénomène social. Comme le candomblé ou le spiritisme brésiliens, le culte de la Santa Muerte a des célébrantes ou des prêtresses, et comporte donc une dimension féminine bien affirmée. Ses dévots expriment dans leurs demandes un besoin de protection, mais également une désaffection vis-à-vis des institutions gouvernementales et religieuses. On devine derrière cette religiosité le sentiment d’appartenance et de solidarité d’une population fragilisée par la modernité et aux prises avec un sentiment d’insécurité et d’exclusion typique d’un pays marqué par la violence.
Le culte à la Santa Muerte est toutefois condamné par les religions chrétiennes. Le pape François et en particulier Mgr Carrera, l’archevêque du Mexique, ont mis en garde les catholiques contre un culte dangereux, associé au satanisme. Le gouvernement mexicain rend un verdict similaire en associant la Santa Muerte aux cartels de la drogue et en détruisant en 2009 une quarantaine de ses sanctuaires près de la frontière américaine. Certains analystes restent songeurs face à ce mélange explosif de culte marginal en milieu social défavorisé et de forte contestation par des institutions très conservatrices. Ils soupçonnent que, derrière ce phénomène religieux, couvent des foyers d’incendie qu’un rien pourrait allumer. D’autres spécialistes jugent plutôt que l’expansion et la démocratisation de ce culte, qui s’accompagne d’une commercialisation et d’une instrumentalisation de la sainte, finiront par annuler cette violence potentielle et ne laisser subsister que l’atmosphère ludique et festive de la fête des Morts. Une Santa Muerte comme prochaine Bond girl ?
Pour en savoir davantage,
- Chesnut, R. Andrew, Devoted to Death: Santa Muerte, the Skeleton Saint, Oxford, Oxford University Press, 2012.
- Torres-Ramos, Gabriela, « Un culte populaire au Mexique : la Santa Muerte », Socio-anthropologie, 31 | 2015, 139-150.