Ḥanukkah, fête de la lumière et de l’espoir !

Alain Bouchard, Université Laval, décembre 2020, révisé en novembre 2023

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Ḥanukkah est sûrement la fête juive la plus connue hors du judaïsme. Depuis quelques années, pour souligner cette fête, plusieurs villes nord-américaines arborent sur les places publiques le fameux chandelier à neuf branches. Célébrée à partir du 25 du neuvième mois du calendrier hébraïque (soit le 7 décembre pour l’année 2023), Ḥanukkah commémore le retour, grâce aux Maccabées, de l’autel des offrandes à l’intérieur du Second Temple de Jérusalem qui avait été désacralisé deux ans plus tôt par le roi des Séleucides. C’est pourquoi cette célébration peut s’appeler la fête de la Dédicace (ḥanukkah en hébreu), la fête de la Lumière ou la fête des Maccabées. Mais que sait-on sur les origines de cette fête ? Pourquoi trouve-t-on ces pratiques particulières d’allumer des bougies, de manger des aliments cuits dans l’huile et de faire jouer les enfants avec des toupies ?

Pour comprendre les origines de cette fête, il faut remonter au IIe siècle avant notre ère. À la suite des conquêtes d’Alexandre le Grand, la Judée se trouve sous domination des Grecs. Le roi de Syrie, Antiochus IV Épiphane veut helléniser la population, c’est-à-dire imposer à tous la culture et la religion grecque. Pour ce faire, il met en place des règles pour que le peuple se soumette aux pratiques païennes (interdiction de la circoncision, de la lecture de la Loi, obligation de sacrifices aux dieux grecs…). L’affront ultime est l’imposition faite aux juifs de sacrifier désormais à Zeus sur un autel placé à l’endroit même où l’on offrait les holocaustes, ce qui implique la profanation du Temple de Jérusalem. Le prêtre de Modin, Mattathias, refuse de faire le premier sacrifice et tue un juif apostat. Rapidement, on se rassemble autour de Mattathias et c’est le début de la révolte. À sa mort en 166 av. J.-C., on désigne comme chef son fils Judas, surnommé le maccabée (ce qui signifierait « désigné par l’Éternel » ou encore le « marteau »). Judas défait les généraux syriens et il reprend le Temple de Jérusalem le 14 décembre -164. Beaucoup d’hommes meurent dans de violents combats, c’est pourquoi jusqu’à aujourd’hui le mot « macchabée » a pris le sens de cadavre. Lors de la purification du Temple, un miracle se produisit : au moment où les soldats veulent allumer la lampe aux sept branches, on ne trouve d’huile que pour maintenir la lampe allumée une seule journée. Pourtant, ce peu d’huile alimentera miraculeusement la lampe durant huit jours. Même s’il a obtenu la liberté religieuse, Judas souhaite obtenir l’indépendance politique. Il s’associe aux Romains, poursuit la lutte contre le pouvoir syrien et meurt en -160. Ses frères Jonathan et Simon lui succèdent, et c’est ce dernier qui négocie l’indépendance politique de la Judée en fondant ainsi la dynastie hasmonéenne qui gouvernera jusqu’à l’arrivée des Romains en -63. La révolte des Maccabées est donc l’occasion, pour les Juifs de Judée et aussi pour ceux de la Diaspora, de redéfinir leur identité et de renforcer leur cohésion autour de la figure du Temple de Jérusalem. Il n’est pas surprenant de constater que c’est pendant cette période que sera utilisé pour la première fois le mot « judaïsme ». C’est pourquoi encore aujourd’hui cette fête comporte de fortes valeurs identitaires.

La particularité de cette fête est qu’elle n’est pas une fête prescrite par la Bible, mais une fête instituée plus tard par les rabbins. Alors que les livres des Maccabées parlent de victoires militaires, la célébration de la fête insiste sur la dimension spirituelle de ce triomphe. Ce n’est pas la Bible, mais les commentaires ultérieurs du Talmud qui parlent du miracle de la fiole d’huile à l’occasion de la purification du Temple.

Voici ce que nous dit le premier livre des Maccabées au chapitre 4, les versets 52 à 59 :

Le vingt-cinq du neuvième mois, nommé Kislew, en l’an cent quarante-huit, ils se levèrent de bon matin et ils offrirent, conformément à la Loi, un sacrifice sur le nouvel autel des holocaustes qu’ils avaient édifié. L’autel fut inauguré avec des cantiques, au son des cithares, des lyres et des cymbales, à la même époque de l’année et le même jour que les païens l’avaient profané. Tout le peuple tomba la face contre terre pour adorer, puis il fit monter la louange vers le Ciel qui l’avait conduit au succès. Ils célébrèrent la dédicace de l’autel pendant huit jours et ils offrirent des holocaustes avec une grande joie, ainsi que des sacrifices de communion et d’action de grâce. Ils ornèrent la façade du temple de couronnes d’or et d’écussons et ils remirent à neuf les entrées ainsi que les salles, qu’ils munirent de portes. Une grande joie régna parmi le peuple, et la honte infligée par les païens fut effacée. Judas, ses frères et toute l’assemblée d’Israël décidèrent que les jours de la dédicace de l’autel seraient célébrés en leur temps, chaque année pendant huit jours, à partir du vingt-cinq Kislew, avec joie et gaieté[1].

Pas de référence à un miracle quelconque ! Dans le deuxième livre des Maccabées au chapitre 1 verset 18, on parle de feu, mais en référence à Néhémie qui, lors de l’inauguration du Temple le 25 kislev -445, aurait fait une offrande sur l’autel, qui aurait par miracle provoqué l’apparition de feu. Ce miracle aurait donné lieu à une « fête du feu ». Ce récit rappelle de loin celui du miracle de la fiole d’huile qui aurait eu lieu lors de la réinauguration de l’autel à l’époque des Maccabées :

Comme nous allons célébrer le vingt-cinq Kislew la purification du temple, nous avons jugé de notre devoir de vous en informer, pour que vous aussi la célébriez à la manière de la fête des Tentes et du feu qui apparut quand Néhémie, qui avait construit le temple et l’autel, offrit des sacrifices[2].

Mais c’est dans le Talmud, dans le traité Shabbat 24a, que le miracle est explicitement raconté :

Qu’est-ce que la fête de Ḥanukkah ? Nos rabbis ont enseigné : le vingt-cinquième jour du mois de kislév commence les huit jours de Ḥanukkah […] Lorsque les Grecs étaient entrés dans le Temple et qu’ils avaient profané toute l’huile du sanctuaire. Les fils des Asmonéens se révoltèrent et vainquirent les Grecs. Les juifs reprirent alors possession du Temple. Après l’avoir fouillé, ils ne trouvèrent qu’une seule jarre d’huile portant le sceau du Grand Prêtre. La quantité d’huile qui s’y trouvait n’était suffisante que pour l’allumage d’une journée. Un miracle se produisit : cette huile dura huit jours. L’année suivante, ils instituèrent une fête de louange et de reconnaissance[3].

Ḥanukkah a une portée symbolique très forte pour les Juifs, car il s’agit de fêter la victoire de la lumière sur les ténèbres, au sens propre comme au sens figuré. Pour célébrer le miracle de la fiole d’huile, la coutume veut que l’on allume une bougie par jour de fête, ce qui fait un total de huit bougies. L’allumage des bougies est accompagné de prières et se fait sur un chandelier à neuf branches appelé ḥanoukkia. Ce chandelier évoque par sa forme le chandelier du Temple que l’on appelle la menorah. En plus des huit branches pour les huit jours de la fête, il en comporte une neuvième appelée shamash. La chandelle particulière qu’on place sur cette branche sert en fait à allumer soir après soir les huit autres chandelles, une chandelle le premier soir, deux le second, et ainsi de suite. Ce rituel réactualise l’histoire rapportée dans le Talmud. La lumière grandissante représente l’expansion constante de la foi juive. Cette façon particulière d’allumer les bougies durant les huit jours a suscité bien des discussions.

On rapporte par exemple une discussion entre deux amoraïm[4] de Palestine concernant la façon d’allumer les bougies pour Ḥanukkah. On y apprend que, pour l’école de Shammay, on doit considérer les jours à venir, tandis que, pour l’école de Hillel, il faut au contraire considérer les jours passés. Cette façon de voir les choses implique que selon l’école de Shammay, on doit allumer huit bougies le premier jour afin de manifester l’idée que le miracle est plus grand le premier jour. On va ensuite en diminuant, pour signifier la diminution de l’énergie contenue dans l’huile. Pour l’école de Hillel, le miracle doit se rendre progressivement visible à l’homme. Ainsi, le premier jour on allume une seule bougie, et on poursuit ainsi jusqu’au huitième jour où l’on allume huit bougies de façon à donner l’impression que le miracle a atteint son point culminant[5]. C’est finalement cette orientation qui s’est imposée dans la tradition. En plus de l’allumage des bougies, pendant les huit jours de la fête on mange de friandises à base d’huile d’olive (latke, soufganiyah, etc.) en référence au miracle de l’huile.

Le latke est une galette de pommes de terre qui vient de la tradition culinaire juive ashkénaze. Il est frit dans l’huile, à la poêle, avec du fromage, des pommes, des courgettes, des épinards… selon la tradition familiale. La soufganiyah est un beignet de forme sphérique aplatie, qui est d’abord frit, puis percé et fourré de confiture, de marmelade ou de crème anglaise, avant d’être recouvert de sucre à glacer. Ces deux plats doivent être frits à l’huile d’olive de préférence. Ils commémorent indirectement le miracle de la fiole d’huile sans laquelle la nouvelle inauguration du Temple n’aurait pu s’effectuer selon la tradition rabbinique.

La toupie de Ḥanukkah, que l’on nomme draydel en yiddish ou sevivon en hébreu, est une toupie cubique à pointe arrondie dont les faces sont frappées chacune d’une lettre hébraïque. Il s’agit, à l’origine, de la variante juive du toton, un jeu de hasard répandu à travers l’Orient et l’Europe. Dans la version anglaise du toton, les quatre faces sont frappées des lettres suivantes : N (nothing), T (take all), H (half) et P (put down) ; dans la version allemande N (Nichts/rien), G (Ganz/tout), H (Halb/moitié) et S (Stell ein/dépose), que les Juifs retranscrivent Noun, Guimmel, Hei et Shin qui devient l’acronyme de Nes gadol haya sham, qui veut dire « un grand miracle a eu lieu là-bas ». En Israël, on remplace le Shin par un Pe, pour « ici ». Le jeu se déroule de la façon suivante : chacun joue à tour de rôle, mettant une part (argent, chocolat, arachides…) dans la cagnotte centrale avant de lancer la toupie. Si la toupie s’arrête sur Noun, on passe son tour ; sur Guimmel, on empoche la cagnotte et chacun remet une part ; sur Hei, on prend la moitié ; sur Shin, on dépose une part dans la cagnotte. Le jeu se poursuit jusqu’à ce que l’un des participants remporte la totalité de la mise.

Il est aussi de coutume de distribuer des pièces de monnaie aux enfants, car on considère la période de Ḥanukkah comme particulièrement propice à la tsedaka, le don aux plus démunis. Du côté liturgique, les marques publiques de deuil, dont le jeûne et les éloges funèbres, sont interdites. À la synagogue, on ajoute des bénédictions ou des passages de la Bible ou de la Torah qui rappellent le miracle du Temple ou la puissance de Dieu.

Si la tradition rabbinique a mis en veilleuse l’aspect militaire de l’histoire des Maccabées, le sionisme a pour sa part transformé ces Maccabées en héros nationaux qui ont résisté à l’assimilation. C’est pourquoi plusieurs clubs sportifs de haut niveau portent aujourd’hui le nom de Maccabi (basket-ball, football…). Une mutuelle et une bière israéliennes portent aussi ce nom.

Avec l’émancipation, Ḥanukkah s’est rapprochée à bien des points de vue de la fête chrétienne de Noël. Dans certains milieux, elle est devenue une fête de fin d’année où l’on donne des cadeaux aux enfants. Plusieurs y voient un lien avec le solstice d’hiver, renouant ainsi avec la tradition rabbinique du traité Avoda Zara (8a) qui dit :

Lorsque Adam, le premier homme, vit la lumière du jour diminuer de plus en plus il se dit : « Malheur à moi ! C’est sans doute parce que j’ai fauté que le monde s’assombrit autour de moi et retourne au Tohu Bohu. C’est là la mort à laquelle le Ciel m’a condamné ». Il resta huit jours à jeûner et prier. Le solstice d’hiver passa et Adam constata que les jours devenaient de plus en plus longs. « C’est donc le cours naturel du monde ! » dit-il. Alors il établit huit jours de festivité[6].

Les transformations de la célébration de Ḥanukkah illustrent bien la façon dont les rituels peuvent se réinventer et s’adapter à de nouveaux contextes et prendre ainsi différentes significations. Par exemple, pour le judaïsme américain du milieu du XIXe siècle, cette fête a pris une signification particulière dans un contexte où l’assimilation possible dans un environnement protestant posait un problème aux rabbins de l’époque. La résistance héroïque des Maccabées devint ainsi un modèle pour la communauté juive et les différentes communautés ont investi symboliquement cette fête avec pour résultat qu’elle est devenue la fête juive la plus connue de l’ensemble de la population américaine. Aujourd’hui, cette fête est célébrée de façon particulière : en Nouvelle-Orléans on célèbre en décorant les portes avec une ménorah faites de grits hominy (un mets amérindien composé de grains de maïs séchés, puis traités à l’aide d’une solution alcaline) ; au Texas, les latkes sont assaisonnés de coriandre et de poivre de Cayenne ; à Cincinnati, les enfants chantent les chansons de Ḥanukkah en mangeant des oranges et de la crème glacée.

Chaque génération a célébré la fête différemment, pour servir ses besoins et ses sensibilités. À Ḥanukkah, ce ne sont ni la guerre ni le martyr qui ont été sacralisés, mais la victoire de la Torah, victoire de la lumière sur l’intolérance, la victoire du respect de la tradition contre l’assimilation. On l’aura compris cette fête est d’une étonnante actualité et demeurera aussi longtemps que le judaïsme voudra transmettre son patrimoine.

Ḥag Ḥanukkah sameaḥ

[1] Traduction Œcuménique de la Bible (2010) https://lire.la-bible.net/lecture/1+maccabees/4/52 consulté le 4 décembre 2020.

[2] Traduction Œcuménique de la Bible (2010) https://lire.la-bible.net/lecture/2+maccabees/1/18 consulté le 4 décembre 2020.

[3] Cité dans Hervé-élie Bokobza et Gabriel Hagaï, « Ḥanukka » dans Thierry-Marie Courau et Henri de la Hougue (dir.), Rites. Fêtes et célébrations de l’humanité, Montrouge, Bayard, 2012, p. 173-174.

[4] Terme générique pour désigner les docteurs du Talmud, qui opèrent entre la clôture du Mishna et la compilation des Talmuds entre le IIIe et le VIe siècle de notre ère.

[5] Hervé-élie Bokobza et Gabriel Hagaï, op. cit., p. 174-178.

[6] Cité dans Akadem, Universalité de ‘Hanouca. Adam et la lumière, https://akademimg.akadem.org/Medias/Documents/Adam-hanouca.pdf consulté le 4 décembre 2020.


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