Lien vers la chronique radiophonique sur le sujet,
à l’émission Québec Réveille sur les ondes de CKIA fm 88,3
Au début du XXIe siècle est apparu sur internet un nouveau phénomène religieux : des religions inspirées d’œuvres populaires de fiction. C’est ainsi que nous retrouvons aujourd’hui une organisation qui porte le nom de « Temple Jedi », dont les enseignements sont tirés de la saga Star Wars ; le « matrixisme », inspiré du film La Matrice et « Harry Potter and the Sacred Text° », une religion utilisant l’œuvre de J. K. Rowling comme livre sacré. Mais croiriez-vous qu’un de ces groupes revendique le statut de religion et professe une foi en un dieu créateur surnaturel dont l’apparence serait celle d’un plat de spaghetti et de boulettes de viande ?
L’Église du Monstre en spaghettis volant ou pastafarisme est née aux États-Unis en réaction aux revendications des créationnistes. En 2005, Bobby Henderson rédige une lettre satirique adressée au Comité d’éducation de l’État du Kansas dans laquelle il exprime son désaccord face à une mesure qui met sur un pied d’égalité la théorie créationniste (Dessein intelligent) et la théorie de l’évolution. Affichée sur internet, cette lettre connaît un énorme succès. Un mouvement émerge peu à peu de cette aventure jusqu’à former le pastafarisme ou l’Église du Monstre en spaghettis volant. Alors qu’à l’origine ce mouvement voulait pasticher le scientisme utilisé par certains chrétiens pour contrer le darwinisme, il est petit à petit utilisé par ses partisans pour tourner en dérision le monde religieux en général.
Le pastafarisme enseigne que l’univers a été créé il y a cinq mille ans par un monstre dont la forme serait celle d’un spaghetti géant. Il aurait créé la terre en environ 0,062831853 de seconde. Grâce à ses appendices nouillesques, il a divulgué des indices destinés à confondre les savants et les amener à s’imaginer que la Terre était beaucoup plus vieille qu’elle ne l’était en réalité. Selon L’Évangile du Monstre en spaghettis volant, ceux qui se dénommaient à l’origine les « pirates » auraient été en fait les premiers pastafariens. Contrairement aux idées reçues, ils étaient des explorateurs pacifiques qui répandaient la bonne parole et distribuaient des friandises aux petits enfants. Henderson explique que le réchauffement climatique serait causé par le déclin démographique de ces pirates. C’est pourquoi leurs descendants doivent désormais porter un uniforme de pirate lorsqu’ils parlent de leurs convictions. Les pastafariens ont choisi le vendredi pour jour saint et leurs prières se terminent généralement par « Ramen ». Lorsque des pastafariens se rencontrent, ils se saluent en disant : « Que la Pâte soit avec vous ». Pendant la période de Noël, ils célèbrent une fête de la Nouille ! L’Église du Monstre en spaghettis volant compterait plusieurs milliers de participants, principalement dans les milieux étudiants américains et européens.
Poussant la parodie à l’extrême, des pastafariens de plusieurs pays revendiquent pour leur organisation le statut de religion. Ils veulent avoir le droit de célébrer des mariages ou d’avoir une photographie officielle avec un bandeau de pirate ou une passoire à spaghetti sur la tête. En 2009, sur son permis de conduire, l’autrichien Niko Alm a reçu l’autorisation de se faire photographier avec une passoire sur la tête. Deux ans plus tard, les autorités de la ville de Brno ont reconnu au tchèque Lucas Novy le droit de porter une passoire sur la photo de sa carte d’identité. La République tchèque devenait ainsi le deuxième pays à autoriser à un pastafarien le port de la passoire. Les autorités ont justifié leur décision en disant que la passoire était un accessoire lié à la pratique religieuse des requérants. Aux États-Unis, les avis divergent d’un État à un autre. Le processus de reconnaissance du pastafarisme en tant que religion semble ardu. Après avoir été reconnu comme religion officielle en Pologne en avril 2014, cette reconnaissance fut annulée six mois plus tard. En décembre 2015, la Nouvelle-Zélande autorisa l’Église du Monstre en spaghettis volant à célébrer des mariages. En janvier 2016, les Pays-Bas ont reconnu administrativement le pastafarisme comme religion. En août 2017, Taïwan a aussi reconnu l’Église pastafarienne humaniste comme religion. Toutefois, une majorité de pays refusent encore au pastafarisme le statut de religion.
Le Québec a lui aussi connu le cas d’une pastafariste qui a eu des problèmes avec une photo d’identité dans une demande de permis de conduire. En effet, en 2014, une dame a porté à la Cour Supérieure du Québec le refus dont elle aurait été victime par la Société d’Assurance Automobile du Québec du droit de porter sur la photo requise le bandeau de pirate et la passoire qu’exige selon elle son appartenance religieuse à l’Église du monstre en spaghettis volant. Pour éclairer la Cour sur le statut de religion de cette Église, on a alors fait appel à un spécialiste des religions de l’Université du Québec à Montréal. Il a recommandé à la Cour de ne pas reconnaître à cette organisation le statut de religion. En 2018, la dame en question a finalement réussi à se faire photographier en costume religieux, mais les autorités ont exigé qu’elle refasse la photo. Dans une entrevue, la dame affirme que le pastafarisme est une vraie religion encore peu connue, comme l’a été le christianisme à ses débuts. « La preuve qu’on est une religion, c’est qu’on est persécuté », dit-elle en souriant.
Cette cause rend évident le défi que pose ce type de religions aux spécialistes des sciences des religions. La question soulevée par des requêtes comme celle dont on vient de parler est celle de savoir ce qu’est une religion. Si le spécialiste québécois dont on vient de parler en arrive à la conclusion que l’Église du monstre en spaghettis volant ne répond pas aux critères d’une religion, son avis n’est pas nécessairement partagé par tous ses collègues. Ce qui rend le phénomène digne d’attention, c’est que le pastafarisme n’est en fait qu’un exemple de religion virtuelle qui s’est matérialisée. Le livre électronique qu’était l’Évangile de cette organisation s’est transformé en livre imprimé. Le groupe a son Vert Missel ! Et lors des festivals ou autres grands rassemblements sociaux, il n’est pas rare de voir une délégation de pirates pastafariens qui se comportent à la façon d’autres regroupements religieux.
Alors qu’il était à l’origine le produit d’une disqualification du religieux dans l’espace public, le pastafarisme commence de plus en plus à ressembler paradoxalement à une religion traditionnelle. Ce phénomène n’est pas inédit : il arrive qu’une nouvelle religion traite de diabolique la religion dominante, mais qu’elle finisse par reproduire quelques décennies plus tard la structure même de la religion à laquelle elle s’opposait jadis. Malgré le fait que plusieurs États refusent de reconnaître que Dieu pourrait être représenté comme une nouille, il reste que les pastafariens manifestent une ardeur et une ténacité à toute épreuve dans leur lutte pour faire accepter leur mouvement comme une religion. Le moins que l’on puisse dire c’est qu’ils ne sont pas des pâtes molles !
Pour en savoir davantage :
- Lionel Obadia, « When Virtuality Shapes Social Reality. Fake Cults and the Church of the Flying Spaghetti Monster », Online Heidelberg Journal of Religions on the Internet, Vol 8 (2015). Lien vers l’article. Consulté le 26 mai 2017.