Alain Bouchard, Université Laval, septembre 2023
Les quatre fêtes du cycle d’automne (Roch Hachana, Yom Kippour, Souccot et Simhat Torah) ouvrent l’année nouvelle. L’expression Roch Hachana signifie littéralement « tête de l’année ». Durant cette période, chacun se met en règle avec Dieu, les autres humains, sa conscience. Si le repentir est au centre de la période qui va de Roch Hachana à Yom Kippour, c'est plutôt la fragilité d'une existence placée sous la protection divine durant les quarante années passées dans le désert qui caractérise la fête de Souccot. Simhat Torah, qui clôt la fête de Souccot, veut littéralement dire « joie de la Torah ». C’est lors de cette journée que se termine le cycle annuel des lectures liturgiques, un cycle qui reprend immédiatement en cette même journée. Ces quatre fêtes rappellent donc qu’avant de recevoir la Torah et se réjouir de sa présence, il faut se préparer, réfléchir, se rappeler la fragilité de la condition humaine.
Roch Hachana
Célébrée les 1er et 2e jours de Tishri, le septième mois du calendrier juif, Roch Hachana est le début de la nouvelle année pour les humains. Il existe aussi un nouvel an pour les arbres, à la fin de l’hiver, et un pour les animaux durant l’été. Le premier jour du mois de Nissan est le nouvel an des rois, car il servait à la datation du règne des rois. Aujourd’hui, il marque le début du décompte des mois. En 2023, qui correspond à l’année 5784 du calendrier juif, Roch Hachana sera célébrée les 16 et 17 septembre, alors qu’en 2024 ce sera les 3 et 4 octobre. Lors de cette fête, on souligne l’anniversaire de la création du monde et de l’homme de même que l’on rappelle le sacrifice d’Abraham. C’est aussi la fête du jugement, qui a un caractère solennel car toutes les créatures défilent alors devant Dieu.
Cette célébration est précédée d’une période de trente jours de préparation spirituelle appelée Yamim Noraim, les « Jours redoutables » ou « Jours de révélation ». Pendant cette période, qui débute au début du mois précédent, les fidèles sont encouragés à s’engager dans une introspection profonde, à méditer sur leurs actions et à rechercher la réconciliation avec ceux qu’ils ont pu blesser au cours de l’année écoulée. Durant les deux jours de Roch Hachana, on récite tôt le matin des prières implorant le pardon (selihot), ponctuées par une brève sonnerie de chofar (instrument à vent fabriqué dans une corne de bélier). On continue ces selihot jusqu’à Kippour. L’une des prières les plus connues de Roch Hachana est l’Unetanneh Tokef, qui souligne la fragilité de la vie humaine et la souveraineté de Dieu. Dans cette prière, on parle aussi de la manière dont nos actions déterminent notre destinée. Une autre série de prières doit être faite près d’un cours d’eau contenant des poissons en retournant ses poches à l’envers et en faisant semblant d’en jeter le contenu, c’est-à-dire ses péchés. Il est d’usage de s’habiller de blanc, couleur de la purification. À la synagogue, on recouvre de blanc la Torah, les rideaux de l’Arche et la table de lecture pour la même raison. Tout au long de la période des fêtes de Tishri, on utilise un livre de prières spécial qui privilégie trois thèmes : la royauté de Dieu, la demande à Dieu de se souvenir de l’humanité et les sonneries du chofar.
Il est recommandé de ne pas se désoler et de bien manger afin d’exprimer sa confiance dans la miséricorde de Dieu. Lors du repas on mange des mets symbolisant une année que l’on espère heureuse en évitant tout aliment aigre ou âpre. Un des aspects les plus typiques de la fête consiste à manger des pommes trempées dans le miel, alors que l’on murmure le souhait : « que cette année soit bonne et douce comme ces deux aliments ». D’autres aliments, tels que le tsimtsoum (mélange de légumes racines) et le poisson, sont également consommés pour symboliser l’abondance et la prospérité. On peut aussi façonner le challah, un pain tressé, en forme de couronne pour rappeler la royauté divine.
La célébration de Roch Hachana s’étend au-delà de la sphère religieuse et englobe la dimension communautaire. Les familles et les amis se rassemblent pour des repas festifs et partagent alors des plats traditionnels et des moments de joie. Les synagogues organisent des services spéciaux pour permettre alors aux membres de la communauté de prier ensemble et ainsi renforcer leur lien spirituel.
Yom Kippour
Si Roch Hachana est considéré comme le jour de jugement, Yom Kippour est plutôt le jour du pardon. Entre les deux, il y a dix jours de pénitence. Durant ces dix jours dits redoutables, Dieu juge chaque fidèle sur ses actes passés, sa piété et son repentir. Les rabbins proposent aux fidèles en guise de rachat pour leurs fautes de pratiquer la charité, de prier et de se repentir.
Avant le jour du pardon, c’est la coutume d’accomplir une expiation symbolique de ses fautes et de celles de ses proches, en utilisant un poulet que l’on agite au-dessus de la tête d’une personne en récitant un texte approprié (un poulet qu’auparavant on sacrifiait ensuite). Yom Kippour est la fête la plus solennelle du calendrier liturgique juif, « le shabbat des shabbats », car c’est en ce jour que se scelle le jugement de Dieu, demeuré en suspens depuis Roch Hachana.
La préparation du Yom Kippour commence par la récitation, durant la soirée précédant le début de la fête, de la prière du Kol Nidré. Cette prière, chantée en araméen, renforce l’idée de l’importance des engagements et des promesses que l’on fait à Dieu et à soi-même. Elle rappelle également que personne n’est parfait et qu’il est important d’admettre ses erreurs et de chercher à en être pardonné. Le cœur de la célébration du Yom Kippour se trouve dans les services religieux de la synagogue. Les fidèles se réunissent pour une série de cinq prières spéciales. Ces prières sont empreintes d’un sentiment d’humilité et d’abnégation, avec des textes liturgiques qui reconnaissent les faiblesses humaines et implorent le pardon divin. Un autre élément distinctif du Yom Kippour est la confession collective des péchés, connue sous le nom de Vidouï. Cette confession est récitée en utilisant toujours le pluriel, une façon de reconnaître implicitement que tous les membres de la communauté partagent la responsabilité des erreurs commises. Le Vidouï énumère un large éventail de transgressions possibles pour rappeler aux fidèles l’importance de l’introspection et du repentir. La coutume veut que l’on se frappe la poitrine avec le poing à chaque verset.
Le point culminant du Yom Kippour est la prière de Neilah, un terme qui signifie « verrouillage ». Elle a lieu en fin d’après-midi, juste avant le coucher du soleil. On dit qu’à ce moment-là les portes du ciel se ferment. Ce rite est une façon de symboliser la fin de la période de grâce et de pardon offerte aux croyants pendant les « Dix Jours de révélation ». La prière de Neilah est une prière intense et fervente. Les fidèles y ressentent l’urgence d’implorer le pardon divin avant que les portes célestes ne se referment.
Le jeûne est l’un des aspects centraux du Yom Kippour. Pendant cette journée, les fidèles s’abstiennent de manger, de boire, de se laver et de porter des chaussures en cuir. Ce jeûne est censé purifier l’esprit et le corps et permettre une meilleure concentration sur la spiritualité et la prière. En s’abstenant de nourriture et d’autres activités quotidiennes, les croyants cherchent à se détacher du matériel et à se rapprocher de Dieu avec dévotion. Il est demandé en plus de ne pas se parfumer et de s’abstenir de relations sexuelles. Célébrée en 2023 le 25 septembre, cette journée s’étire de la tombée de la nuit jusqu’au lendemain soir. Il s’agit d’une période de vingt-cinq heures pendant laquelle les fidèles sont appelés à se réunir à la synagogue pour implorer le pardon de Dieu. L’expiation désirée par les fidèles recouvre les fautes commises durant l’année écoulée depuis le dernier Yom Kippour. Rappelons que, selon le judaïsme, le mot « péché » signifie d’abord manquer son but, s’éloigner de son chemin. Il n’y a pas de confession individuelle de ses fautes personnelles, mais une descente en soi-même et une demande de pardon auprès de ceux à qui l’on a causé du tort. Quand le pardon de Dieu est accordé, la faute n’existe plus.
Durant toute la journée, les synagogues sont pleines. Aux fervents viennent se joindre les pratiquants occasionnels et des non-croyants qui veulent témoigner tout de même de leur fidélité et de leur attachement aux traditions. Ils arborent une tenue de couleur blanche qui signifie qu’ils aspirent à la pureté et l’innocence. La mobilisation des fidèles qui a lieu à l’occasion de cette fête vient sûrement du fait qu’à l’époque du Temple, c’était le seul jour de l’année où le grand prêtre pénétrait dans le Saint des saints (c’est là que se trouvait l’arche d’alliance contenant les Tables de la loi) où il accomplissait un rituel dans le but d’obtenir le pardon pour le peuple. On chargeait symboliquement un bouc de tous les péchés d’Israël, puis on le conduisait vers une falaise escarpée où il était précipité en emportant avec lui dans la mort toutes les fautes de la nation. C’est de ce rituel que provient ce qu’on appelle en français un « bouc émissaire ».
Si, lors des grandes fêtes, on célèbre le Dieu créateur et juge, lors des fêtes de pèlerinage (Pessah, Chavouot et Succot) on célèbre le Dieu agissant dans l’histoire. La signification historique suit le rythme de la vie agricole. Israël ne deviendra une nation que lorsqu’il aura reçu la Torah. Mais avant de recevoir cette Loi ou Torah et se réjouir de sa présence, il fallait s’y préparer, y réfléchir et se rappeler la fragilité de la condition humaine. À trois occasions dans le livre du Deutéronome (16:16 ; 23:14-17; 34:18-23), lorsque Dieu demande aux hommes de se présenter devant lui, il exige qu’ils ne se présentent pas les mains vides.
Souccot
La fête de Souccot, également appelée la Fête des Tabernacles ou Fête des Cabanes, est l’une des fêtes les plus importantes du calendrier juif. Sa signification est profondément liée à l’histoire des Juifs, à leur foi et à leur gratitude. Célébrée avec enthousiasme et dévotion, Souccot est une période où la communauté juive se rassemble pour honorer le passé, exprimer sa reconnaissance pour les bénédictions présentes et aspirer à un avenir meilleur.
La fête de Souccot débute le 15e jour du mois de Tishri, soit quelques jours après le Yom Kippour. Elle dure sept jours en Israël et huit jours en dehors d’Israël. En 2023, elle débutera le 29 septembre et en 2024 ce sera le 16 octobre. Au cœur de la célébration se trouve la construction et l’utilisation de la soucca, une cabane éphémère construite avec des matériaux végétaux comme des branches, des feuilles et des roseaux. Cette soucca rappelle les abris que le peuple d'Israël a utilisés lors de sa traversée du désert après sa libération d'Égypte.
La construction de la soucca est un processus familial, qui impliquent souvent tous les membres de la famille, souvent issus de plusieurs générations, y compris les amis, qui travaillent tous ensemble à créer cette structure symbolique. La soucca doit être suffisamment solide pour résister au vent, mais surtout elle doit être provisoire. Elle est conçue pour rappeler la fragilité de la vie et la dépendance à l’égard de Dieu. Le principal critère est d’avoir un toit placé directement sous le ciel et formé uniquement de feuillages et de branchages, de façon à bloquer la chaleur du soleil et à préserver la fraîcheur de l’ombre.
Une fois la soucca construite, les fidèles y prennent leurs repas et y passent du temps. Les repas de la fête sont traditionnellement pris dans la soucca pour commémorer le voyage à travers le désert et mieux apprécier tout ce que Dieu nous a accordé de bénédictions. Ce moment passé dans la soucca renforce le lien entre la foi et la vie quotidienne. Il rappelle aux croyants la constante protection divine et la gratitude qu’il doivent éprouver envers les ressources matérielles et spirituelles.
Chaque matin de Souccot, sauf lors d’un éventuel shabat, pendant qu’on loue l’Éternel avec les psaumes, les fidèles se saisissent d’un bouquet composé de quatre espèces de végétaux dont le loulav et l’étrog et l’agitent par trois fois dans la direction des quatre points cardinaux, ainsi que vers le haut et le bas. Le loulav est une palme, et l’étrog est un cédrat, et ces plantes sont accompagnés de trois rameaux de myrte et de deux rameaux de saule. Ces éléments sont attachés et agités ensemble : ils symbolisent l’unité du peuple juif et la reconnaissance des multiples aspects de la création. Cette pratique souligne la connexion profonde entre l’humanité et son Créateur, ainsi que le rôle de chaque individu dans ce grand ensemble.
La fête de Souccot possède également une signification agricole, car elle est traditionnellement célébrée à la fin de la récolte des cultures. Selon la Torah, elle marque un temps de gratitude pour les fruits de la terre et la générosité de Dieu. Souccot était alors fêtée au terme d’un pèlerinage à Jérusalem à l’occasion duquel les gens apportaient des offrandes de récolte au Temple.
La Hoshana Rabbah est le dernier jour de Souccot. Il est marqué par un service de prière particulier où les fidèles font sept fois le tour de l’autel de la synagogue en agitant le loulav et l’étrog. Cette journée est considérée comme le jour du « jugement final », et se termine par des prières complémentaires censées sceller les décrets divins pour l’année à venir.
La signification profonde de Souccot réside dans sa combinaison d’éléments historiques, agricoles et spirituels. La fête rappelle aux croyants le caractère éphémère de la vie humaine, le sentiment de dépendance à l’égard de Dieu et l’importance d’éprouver de la gratitude pour les bénédictions présentes. Les traditions de construction et d’utilisation de la soucca, ainsi que l’utilisation des quatre espèces de végétaux, renforcent ces enseignements tout en créant un lien entre la foi et les aspects tangibles de la réalité quotidienne.
La fête de Souccot est une période de joie et de célébration. Les familles et les communautés se réunissent pour partager des repas, prier, chanter et étudier les textes sacrés. Les enfants participent souvent à la décoration de la soucca avec des guirlandes et des images symboliques, et contribuent ainsi à créer une atmosphère festive et ludique.
Cette semaine de fête est caractérisée par la joie, perçue comme l’ultime récompense accordée par la miséricorde de Dieu à l’occasion du Yom Kippour et le signe du retour à Dieu après l’égarement. À la synagogue, la liesse se caractérise par des rondes chantées et dansées autour de l’estrade où se lit la Torah, notamment au dernier jour où l’on célèbre Simhat Torah (joie de la Torah, en hébreu), une dernière semaine de fête qui consacre la libération spirituelle.
Simhat Torah
La fête de Simhat Torah est l’une des fêtes les plus joyeuses du calendrier juif. On y célèbre la conclusion annuelle de la lecture publique de la Torah et la reprise immédiate d’un autre cycle de lectures. Cette célébration reflète l’attachement profond du judaïsme à l’étude et à la transmission des textes sacrés, ainsi que la joie qui accompagne cette tradition. Simhat Torah incarne un mélange unique de spiritualité, de communauté et de festivités. C’est l’occasion pour les Juifs de se rassembler pour célébrer la Torah et la tradition qui les unit.
Simhat Torah tombe le 23e jour du mois de Tishri, soit le jour suivant la fin de la fête de Souccot. En Israël, cette célébration se combine avec Shemini Atzeret, qui marque la conclusion de la saison des fêtes et le début de l’année liturgique. À l’extérieur d’Israël, Shemini Atzeret et Simhat Torah se célébrent lors de deux journées distinctes.
Le point central de Simhat Torah est la lecture des derniers passages de la Torah, suivie immédiatement de celle du premier passage du livre de la Genèse. Cette continuité symbolise que l’étude de la Torah est une entreprise qui ne s’arrête jamais, la fin d’un cycle de lectures ne faisant que préparer le départ d’un nouveau cycle d’apprentissage. Pendant la cérémonie de Hakafot, les fidèles dansent joyeusement avec les rouleaux de la Torah qu’ils transportent autour de la synagogue dans des processions animées. Ces danses festives symbolisent la joie de la Torah et la reconnaissance de son importance dans la vie spirituelle et culturelle du peuple juif.
La célébration de Simhat Torah ne se limite pas à la synagogue. Les foyers juifs organisent souvent des repas festifs et des rassemblements familiaux pour marquer cette journée spéciale. Les enfants jouent un rôle important dans les festivités, car ils participent aussi avec enthousiasme aux danses et aux processions. Ils sont souvent encouragés à confectionner des drapeaux colorés et des décorations pour orner la synagogue, ce qui contribue à en augmenter le caractère joyeux.
La signification de Simhat Torah va au-delà de la simple célébration de la fin et du renouvellement d’un cycle de lectures de la Torah. Cette fête incarne le fait que la tradition juive doit nécessairement passer d’une génération à une autre sans jamais s’interrompre. En dansant avec les rouleaux de la Torah, en chantant des chants de louange et en écoutant les récits bibliques, les croyants rendent hommage à l’histoire de leur peuple et célèbrent leur lien continu avec les générations passées et futures. La célébration de Simhat Torah rappelle également l’importance du rituel et de la communauté dans le judaïsme. La danse, la musique et les chants créent une atmosphère de célébration et de joie et renforcent ainsi le sentiment d’appartenance à une tradition plus large.
Les fêtes d’automne dans le judaïsme, de Rosh Hashana à Simhat Torah, forment dans le calendrier juif un ensemble qui plonge les fidèles au cœur même de leur tradition millénaire. Ces fêtes offrent un parcours spirituel riche et profond. Elles invitent les croyants à s’engager dans un processus de réflexion, de repentance, de gratitude et de renouveau. Les thèmes de l’introspection, du pardon, de la dépendance envers Dieu et de la perpétuité de la tradition juive s’entrelacent tout au long de ces célébrations, ce qui donne aux croyants une opportunité de grandir spirituellement et de renforcer leur connexion avec leur foi et leur communauté.