À propos de l’encens et autres aromates utilisés à des fins religieuses ou spirituelles

André Couture, Université Laval, 1er décembre 2021

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Résumé : Les rites religieux ou spirituels se servent souvent de parfums que l’on offre à la divinité ou dont se sert encore pour éloigner les esprits mauvais. Ces substances diverses fascinent au point que l’on est parfois prêt à les acheter à prix d’or, ce qui ne veut pas dire que l’usage que l’on en fait ne puisse pas énormément différer d’une culture à une autre.

En contexte catholique, lors des messes solennelles, le thuriféraire (responsable de l’encens) peut encenser l’autel, la croix, le missel, le pain et le vin, éventuellement le prêtre lui-même et les fidèles ; ou encore lors des cérémonies de funérailles, à l’église ou au cimetière, le célébrant encense le cercueil ou l’urne funéraire. Il se sert pour cela d’un encensoir, une sorte de vase orné, souvent richement décoré, muni d’un couvercle et suspendu à des chaînettes, dans lequel se trouvent des charbons allumés sur lesquels brûle de l’encens. En se consumant, l’encens diffuse une odeur parfumée que le célébrant répand autour de lui en agitant plus ou moins longuement l’encensoir. Le rite est souvent repris tel qu’il a été transmis par la tradition liturgique, mais sans que les fidèles qui assistent à ces cérémonies connaissent exactement sa signification. Faut-il y voir une simple marque de respect ou encore un geste à portée spirituelle ? Quelle est l’importance de l’encens et pourquoi fait-il toujours partie des célébrations chrétiennes ? Pour comprendre le sens que prend ce rite chrétien, un peu d’anthropologie, un brin d’histoire et des éléments de comparaison avec ce qui se passe dans d’autres traditions religieuses peuvent s’avérer utiles.

Quelques mots d’anthropologie

Saisir le rôle des parfums dans les traditions religieuses, c’est d’abord prendre conscience que la culture d’un peuple n’est pas seulement affaire d’ouïe, de vue, de goût et de toucher, mais également d’odorat. Le souci de vivre dans une ambiance plaisante, de sentir bon soi-même et de plaire aux narines d’autrui, semble s’être peu à peu intégré à la politesse dans les manières, une vertu lentement acquise et faisant partie des conventions facilitant la vie sociale. Alors que les gens grossiers, rustres, malappris, puent et chassent les autres de leur odeur répugnante, ceux qui ont accès à une culture plus raffinée exhalent une odeur agréable qui a sur eux un effet attirant. Les parfums embaument l’existence de ceux et celles qui ont appris à s’en oindre. Ils font partie des civilités qui se transmettent à l’intérieur d’une population et sont particulièrement prisés à l’occasion des grands rassemblements où les gens se côtoient. Ils font également partie du rituel amoureux. « Huile et parfum mettent le cœur en fête », dit le livre biblique des Proverbes (27,9). L’amant du Cantique des cantiques, lui-même comparé à un sachet de myrrhe, s’enivre de même des parfums de sa bien-aimée. Contrairement aux hypocrites qui prennent une mine défaite pour bien montrer aux hommes qu’ils jeûnent, dit Jésus, « quand tu jeûnes, parfume-toi la tête et lave-toi le visage » (Mt 6,17), de sorte que seul le sache ton Père qui est dans le secret. Autrement dit, lorsque tu jeûnes, agis normalement, ne te fais pas remarquer, et utilise comme tout le monde les parfums qui sont un signe de joie et de bonne entente.

Les aromates dans l’antiquité gréco-romaine

L’idée d’utiliser des parfums remonte à une haute antiquité, et n’est pas du tout une pratique limitée à certains rites religieux. L’utilisation des parfums, souvent des produits d’arbres qui poussent sous les tropiques, entre autres de l’encens, s’est beaucoup développée en Orient. On trouve cette pratique bien vivante dans le monde gréco-romain d’avant l’ère chrétienne où les plus nantis importaient ces produits de luxe d’Arabie, d’Éthiopie ou d’Inde. Le christianisme, qui est né en Palestine et s’est développé autant au Moyen-Orient qu’auprès des populations de culture gréco-romaine, a naturellement hérité d’une culture des parfums.

L’ancienne culture gréco-romaine rêvait d’or, mais aussi d’encens et de myrrhe. Pas étonnant que l’Évangile de Matthieu fait arriver les rois mages d’Orient pour célébrer le nouveau roi qui venait de naître à Bethléem et que ceux-ci lui offrent en présent de l’or, de l’encens et de la myrrhe (Mt 2,11), c’est-à-dire un résumé des plus grandes richesses que convoitaient alors les nations. Même si les arbres à encens et à myrrhe poussent en Inde du Sud et en Éthiopie, ces substances résineuses provenaient en fait surtout d’Arabie, pays de soleil, et c’est de là que l’imagination occidentale les a toujours fait venir. L’helléniste Marcel Detienne décrit ainsi la façon dont on produisait ces substances.

Troncs et branches des arbres à myrrhe et à encens sont incisés avec une espèce de hachette, aux places où l’écorce, très mince et distendue, paraît la plus gonflée de sève. « Une écume visqueuse en jaillit qu’on laisse s’épaissir et se coaguler, et qu’on recueille ensuite soit sur une natte de palmier, soit sur une aire battue alentour » [Panyassis d’Halicarnasse, poète grec du Ve siècle avant J.C.]. L’encens le plus recherché est formé par la réunion de larmes venues s’agglutiner sur une première sécrétion qui s’est fixée sur le tronc. Et le naturaliste romain [Pline l’Ancien, écrivain du 1er siècle, auteur d’une Histoire naturelle] évoque le temps où l’homme, moins âpre au gain, attendait patiemment que se forme d’elle-même une de ces boules d’encens, dit mamelonné, capable d’emplir à elle seule toute une main. Récoltée de la même manière que l’encens, la myrrhe se présente également sous la forme de boulettes irrégulières formées par concrétion d’un suc blanchâtre et facile à fondre (Detienne, 2007, p. 19).

On comprend facilement que l’on veuille vivre dans une atmosphère qui sent bon. Mais pourquoi encore offrir des parfums aux divinités ? À une époque ancienne, que l’on accepte l’une ou l’autre forme de polythéisme comme les anciens Grecs ou Latins, ou que l’on croie un Dieu unique comme les Juifs et par la suite les chrétiens, on considérait comme une évidence que ces divinités vivant au ciel devaient avoir les mêmes besoins que les humains. Pour s’assurer de leur entière collaboration, il fallait leur assurer l’existence la plus agréable possible, c’est-à-dire bien les nourrir en leur offrant diverses oblations, également leur faire respirer la bonne odeur des parfums les plus recherchés. Avant d’être considérés comme une offrande en tant que telle, les parfums dont on oignait les viandes offertes en sacrifice servaient d’abord à couvrir la puanteur des chairs brûlées. Un auteur grec cité par Detienne résume les convictions anciennes en disant simplement que « les aromates visent à attirer les dieux » (ibid., p. 59). Les bois odoriférants que l’on choisissait pour nourrir le feu des sacrifices supposaient que l’on croyait que la fumée odorante plaisait aux dieux, les séduisait, les forçait en quelque sorte à combler en retour les humains de leurs faveurs.

Les aromates dans le monde biblique

En contexte juif, la demeure que Moïse fait aménager pour le Très-Haut sous la tente, comprend le sanctuaire proprement dit, une arche, une table, un chandelier, et un autel des parfums en bois d’acacia (Exode 37,25-29 ; 30,1-10). Plus tard, Salomon fait construire un grand temple où sont transférés l’arche et tout le nécessaire au culte. Quand la reine de Saba vient lui rendre visite, elle arrive avec toute sa suite, dont des chameaux chargés d’aromates, d’or en grande quantité et de pierres précieuses (I Rois 10,2). Mais sous le règne des anciens rois de Juda, le premier livre des Rois affirme que le peuple continue sur les hauts lieux cananéens à offrir les sacrifices auxquels ils sont habitués et à y brûler de l’encens (I Rois 22,44 ; 2 Rois 12,4 ; etc.). Quand Aaron présente le taurillon du sacrifice pour expier son propre péché, il commence par l’égorger, puis « prend une pleine cassolette de charbons ardents sur l’autel qui est devant le Seigneur et deux pleines poignées de parfum à brûler, en poudre, et il les amène au-delà du voile [du temple]. Il met le parfum sur le feu devant le Seigneur et la nuée de parfum recouvre le propitiatoire qui est sur la charte [les Tables de la Loi déposées dans l’arche d’alliance]. Ainsi il ne mourra pas » (Lévitique 16,12-13). Les substances aromatiques constituent donc en elles-mêmes une offrande à la divinité au même titre que les victimes animales. L’évangile de Luc (1,10-11) évoque d’ailleurs ce rite quand il affirme que Zacharie, époux d’Élizabeth, est allé offrir de l’encens à l’intérieur du sanctuaire du Seigneur et que c’est à ce moment précis qu’un ange lui apparaît, debout à droite de l’autel de l’encens, pour lui annoncer que sa femme stérile obtiendra un fils qu’il devra nommer Jean.

Ces sacrifices n’allaient pas toujours de soi dans la tradition biblique. Les prophètes juifs ont aussi affirmé que Dieu n’a besoin de rien, bien que l’on puisse quand même lui offrir des sacrifices de louange. Ils émettront de sérieuses restrictions sur la valeur et l’efficacité des sacrifices isolés de la conversion morale, ce qui inclut évidemment les offrandes d’aromates. « Je déteste, je méprise vos pèlerinages, je ne puis sentir vos rassemblements, quand vous faites monter vers moi des holocaustes ; et dans nos offrandes, rien qui me plaise : votre sacrifice de bêtes grasses, j’en détourne les yeux » (Amos 5,21-22). Faut-il voir dans ce courant d’opposition aux sacrifices juifs la raison pour laquelle les cérémonies chrétiennes n’ont finalement retenu que l’encens ? La question mérite en tous cas d’être posée.

Les aromates dans le culte funéraire

Les parfums sont également utilisés pendant le culte des morts. Quand la chaleur se fait intense, le corps inerte devient vite nauséabond. La solution consiste à disposer du cadavre dans les heures qui suivent la mort, ce que l’on fait toujours dans beaucoup de pays qui ne connaissent pas l’embaumement. Mais en attendant l’enterrement ou la crémation, on a pris aussi l’habitude dans les milieux aisés d’oindre le corps de divers parfums. Il s’agit, disait-on, de prévenir les maladies que le cadavre pourrait engendrer, également de chasser les esprits qui ne manquent pas à cette occasion de venir rôder dans les parages. On comprend que les parfums en soient venus à faire partie des cérémonies funéraires, l’idée se répandant que ces substances non seulement purifient le cadavre, mais également l’entourage qui est en deuil. On pense même que les aromates ont la vertu de préserver le corps de la corruption. Un mélange d’aromates était utilisé en Égypte dans le processus de momification et servait également à la conservation du corps chez les Juifs. Il s’agissait d’enduire le cadavre d’aromates et non de l’altérer d’une manière ou d’une autre, comme on le fait maintenant. On dit que des femmes de l’entourage de Jésus sont allées acheter des aromates pour embaumer le corps de leur maître (Mc 16,1). L’apôtre Jean croit plutôt savoir que c’est Nicodème qui a apporté à cet effet un mélange de myrrhe et d’aloès d’environ cent livres (Jn 19,39). Ce n’était pas là une coutume réservée aux populations orientales. Dans Lux perpetua, Franz Cumont résume ainsi ce qui se passait dans certaines grandes familles impériales.

Bientôt les familles opulentes rivalisèrent de munificence dans la recherche des produits les plus rares de pays lointains pour des funérailles fastueuses. Les grains d’encens qu’on réservait aux divinités étaient peu de chose à côté des monceaux d’essences dépensées en pure perte à l’occasion des obsèques sur toute l’étendue de l’empire [romain]. Lorsque dans le cortège pompeux qui conduisit Hérode à sa dernière demeure, cinq cents esclaves porteurs d’aromates accompagnèrent le corps étendu sur la couche mortuaire on reproduisit pour ce principe [prince] hellénisant un genre d’offrande déjà habituel pour les rois de Juda un millier d’années auparavant, mais qui était devenu commun à tout le monde romain. La profusion ne fut guère moindre pour les funérailles de Sylla [célèbre homme politique romain du IIe-Ie siècle avant J.C.] qu’à celles d’Hérode, et elle fut dépassée par Néron à celles de Poppée [sa seconde épouse]. On répandait les parfums sur le cadavre, sur le lit de l’exposition ou sur le bûcher, on les mêlait aux ossements enfermés dans l’urne cinéraire, on les déposait à côté du corps dans la fosse ou le sarcophage, et les archéologues, en fouillant les nécropoles et les hypogées, ont ainsi recueilli une quantité prodigieuse de flacons ou d’ampoules ayant contenu des baumes odorants.

Sans doute, à l’origine, l’usage des essences aromatiques eut-il pour but de rendre moins écœurante la fétidité du cadavre ou d’en empêcher la décomposition par l’embaumement ; ou bien, lorsqu’on pratiqua la crémation, de combattre par une senteur pénétrante la puanteur des chairs rôtissant sur le bûcher. Mais cette protection contre des odeurs nauséabondes ne peut expliquer tous les rites où interviennent les parfums. Quand l’emploi de ces parfums devint une des jouissances les plus appréciées des vivants, ceux-ci voulurent la faire partager aux défunts, renouveler pour eux un plaisir raffiné, qu’ils avaient aimé sur la terre. On crut aussi que les fumigations d’encens et d’autres aromates, comme la lumière des lampes et des cierges mettaient en fuite des démons hostiles et protégeaient l’esprit du mort contre leurs attaques (Cumont, 2009, p. 78-80).

Et c’était là, de conclure Cumont, « une des manières de manifester sa piété envers les trépassés comme envers les dieux ». On peut penser que les anciens Juifs partageaient en gros des convictions similaires et savaient utiliser les parfums pour honorer leurs morts quand ils en avaient les moyens.

L’utilisation des parfums dans les religions de l’Inde

L’Inde traditionnelle était elle aussi sensible aux odeurs. Les poètes les évoquent régulièrement. Un parfum particulièrement prisé est celui que dégage la terre lorsque la mousson commence à tomber. Le parfum des fleurs, réunies ou non en guirlandes (mālā), en particulier celui des lotus et des nymphéas, est unanimement célébré. À l’opposé se situe la puanteur de la viande crue et celle du cadavre, également celle des excréments et des boissons alcooliques, dont il faut à tout prix se prémunir. Au fil des siècles, pour masquer les mauvaises odeurs et favoriser le bien-être des vivants, les Indiens ont appris à se procurer toutes sortes de substances aromatiques (dhūpa) comme le bois d’aloès, le bois de santal (en poudre ou en pâte), le bdellium (résine parfumée, sorte de myrrhe indienne), l’ambre, le musc d’origine animale, le benjoin (résine d’arbres du genre Styrax), l’encens proprement dit, plus tardivement le camphre, etc. Si ces substances aromatiques sont maintenant à la base de divers parfums utilisés dans la vie ordinaire, elles devaient être extrêmement chères au premier millénaire et s’acquéraient difficilement. C’est le cas du bois de santal, toujours hautement estimé, mais qui se fait maintenant très rare. Les gens fortunés l’utilisaient, et l’utilisent encore, lors des rites de crémation, son parfum servant à couvrir celle des chairs carbonisées.

Il n’existe pas en Inde traditionnelle de sacrifices d’aromates. Depuis sans doute quelques siècles avant les débuts du premier millénaire, diverses substances aromatiques sont utilisées lors de la pūjā, un rite maintenant stéréotypé qui consiste essentiellement à recevoir la divinité comme un hôte très cher. La pūjā comprend une série de gestes appréciés tant de l’hôte humain que divin. Après avoir prononcé sur l’image des paroles de bienvenue, on offre symboliquement à celle-ci un siège, de l’eau pour lui laver les pieds, puis encore de l’eau pour qu’elle se rince la bouche, puis pour qu’elle prenne un bain, et on lui offre ensuite un vêtement. On complète la réception en comblant la divinité de fleurs, de substances aromatiques que l’on fait brûler à son intention, de la lumière de lampes, puis de nourriture très fine. Finalement on chante les louanges de cette divinité de façon à lui montrer qu’on l’estime. Ce rite démontre qu’il existe une parfaite symétrie entre l’hôte terrestre et l’hôte divin. La pūjā est en quelque sorte une réception idéalisée et, dans ce contexte, la qualité des fleurs, des parfums et autres ingrédients varie avec la grandeur de la divinité que l’on célèbre.

L’utilisation de plantes odoriférantes auprès des Premières Nations américaines

Chez les premières nations américaines, on utilise le parfum de diverses plantes sous forme de fumigations. L’une des plus connues de ces plantes est le foin d’odeur, dont deux espèces poussent au Canada. Le parfum que dégagent les feuilles séchées, dit-on, rappelle la vanille. On peut éparpiller la plante sur le sol, l’utiliser comme matelas, la tisser en longues nattes servant à orner des paniers de frêne noir, comme le font entre autres les Micmacs de la Gaspésie. Le foin d’odeur sert aussi, de même que la sauge blanche, à fabriquer l’encens dont on se sert dans les rituels de purification. Le chaman utilise les exhalaisons de ces plantes, également celles du tabac, dans le cadre de cérémonies de prières où l’exposition à leur fumée sert à chasser les mauvais esprits, éloigner les maladies, nettoyer les individus de tout sentiment ou pensée négative. Encore ici, on pense qu’en plus de participer au bien-être journalier des individus qui les respirent, les effets de ces plantes peuvent être multipliés si elles sont utilisées par un spécialiste qui en a la maîtrise et qui sait les utiliser à bon escient.

Quelques mots à propos de l’encens dans les liturgies chrétiennes

Que reste-t-il de l’encens en contexte chrétien ? Il n’est plus question comme dans le judaïsme d’offrir de l’encens sur un autel spécifique. Il faut attendre plusieurs siècles avant que l’usage de l’encens soit historiquement attesté dans la liturgie chrétienne. Son utilisation reste confinée à certains moments précis, comme l’encensement de l’autel et du corps du défunt. Sous nos latitudes, l’encens, et en général les plantes aromatiques, ne sont d’ailleurs plus en soi des richesses que l’on offrirait à Dieu en sacrifice d’agréable odeur. Ce n’est plus une des substances qu’on utilise pour embaumer le corps du défunt, puisque la chimie a remplacé les aromates en ce domaine comme dans les autres. Ce n’est pas non plus un produit capable de protéger le corps contre les maladies et susceptible de chasser les mauvais esprits, sauf en quelque milieu influencé par un certain ésotérisme.

En étudiant la façon dont on apprivoisait la mort au Moyen-Âge, Philippe Ariès met en corrélation l’encens que l’on utilise lors de l’absoute, le rite qui conclut les funérailles, et les produits qui servaient parfois à embaumer les corps (p. 142-143). Certains rois, qui rêvaient d’immortalité, se faisaient alors embaumer, puis certains nobles à l’imitation des rois. Cette pratique permettait de garder plus longtemps le corps, éventuellement de le transporter auprès de sa famille. En aspergeant le corps d’eau bénite et en l’encensant, c’est comme si l’on cherchait également un moyen symbolique de prolonger un peu la vie. Quoi qu’il en soit, l’encens des cérémonies liturgiques chrétiennes n’apparaît maintenant que comme un clin d’œil aux origines orientales de cette tradition religieuse. C’est aussi une sorte d’immense métaphore que le verset 2 du Psaume 141 exprime ainsi : « Que ma prière devant toi s’élève comme un encens et mes mains, comme l’offrande du soir ». C’est aussi ce que suggère une des visions de l’Apocalypse. Alors, dit l’auteur, je vis un autre ange qui « vint se placer près de l’autel. Il portait un encensoir d’or, et il lui fut donné des parfums en grand nombre, pour les offrir avec les prières de tous les saints sur l’autel d’or qui est devant le trône. Et de la main de l’ange, la fumée des parfums monta devant Dieu, avec les prières des saints… » (Ap. 8,2-4). Le chrême est également un mélange de parfums de grand prix. Le Vocabulaire de théologie biblique explique à l’article « Parfum » que le chrétien, oint du saint chrême à l’occasion de son baptême, doit répandre autour de lui « la bonne odeur du Christ » (2 Co 2,14-17) en imprégnant la moindre de ses actions de ce nouvel esprit. On comprend qu’en ce contexte, les fumées de l’encens puissent devenir autant d’évocations fugitives du rayonnement qu’est appelé à avoir le chrétien.

Travaux cités ou consultés :

Ariès, Philippe. 1977. L’homme devant la mort, Paris, Seuil.

Art. « Cérémonie de la fumée », encyclopédie Wikipédia, accessible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/C%C3%A9r%C3%A9monie_de_la_fum%C3%A9e, consulté le 5 novembre 2021.

Art. « Encens (résine oliban) », encyclopédie Wikipédia, accessible à l’adresse : https://fr.wikipedia.org/wiki/Encens_(r%C3%A9sine_oliban), consulté le 5 novembre 2021.

Art. « Encens », « Encensement », « Encensoir », dans Catholicisme. Hier, aujourd’hui, demain, Paris, Letouzet et Ané, 1956, t. 4, col. 106-109.

Art. « Foin d’odeur », accessible à l’adresse : https://www.thecanadianencyclopedia.ca/fr/article/foin-d-odeur, consulté le 22 novembre 2021.

Art. « La sauge blanche amérindienne : un rite de protection et de purification », accessible à l’adresse : https://www.herboristerieduvalmont.com/blog/la-sauge-blanche-amerindienne-un-rite-de-protection-et-de-purification-n55, consulté le 5 novembre 2021.

Art. « Parfum », dans Xavier Léon-Dufour (dir.), Vocabulaire de théologie biblique, Paris, Cerf, 1971, col. 903-905.

Art. « Parfums », dans Supplément au Dictionnaire de la Bible, t. 6, col. 1291-1331.

Cumont, Franz, 2009 [1949]. Lux perpetua, Turin, Nino Aragno [1re éd., Paris, Geuthner].

Detienne, Marcel. 2007 [1972]. Les jardins d’Adonis, Paris, Gallimard.

McHugh, James, art. « Smell », dans Brill’s Encyclopedia of Hinduism Online (Knut A. Jacobsen, Helene Basu, etc., eds.), consulté le 12 novembre 2021.

Peterson, Larry. « Les origines de l’encens et son usage dans la liturgie », publié le 25 oct. 2018, accessible à l’adresse : https://fr.aleteia.org/2018/10/25/les-origines-de-lencens-et-son-usage-dans-la-liturgie/, consulté le 5 novembre 2021.


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