Les religions, victimes du cyberespace ?

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Lien vers la chronique radiophonique sur le sujet,
à l’émission Québec Réveille sur les ondes de CKIA fm 88,3

Saviez-vous que le mot « ordinateur » est un terme emprunté au vocabulaire de la théologie ? Il vient du latin ordinator qui désigne « celui qui règle, qui dirige », et s’applique en particulier à Dieu en tant qu’« ordonnateur » de l’univers, celui qui met de l’ordre dans le monde. En raison des pouvoirs qu’on lui prête, l’ordinateur a fait en quelque sorte dès l’origine concurrence au Dieu de la religion. Croiriez-vous que, maintenant, certains chercheurs pensent qu’Internet représente la plus grande menace que les religions organisées n’aient jamais rencontrée ?

Depuis le début du troisième millénaire, dans les enquêtes réalisées sur la situation des religions dans le monde, on voit monter la cote de l’irréligion. Aux États-Unis, en 1990, 8 % de la population n’avait pas de préférence religieuse, alors qu’en 2010, ce chiffre est passé à 18 %. En France, en 1990, 11 % des gens se déclaraient sans religion, alors qu’en 2012 il y en avait 35 %. Au Canada, en 1991, ce pourcentage était de 13 %, et de 24 % en 2011. Une étude du Pew Forum réalisée en 2015 confirme la tendance : les personnes sans religion devraient être plus nombreuses que les chrétiens d’ici 2050. Comment expliquer une telle transformation ? Un chercheur américain pense que l’usage d’Internet serait en partie responsable de cette augmentation. Selon ce chercheur, 25 % de la progression de l’irréligion serait attribuable à la chute de l’éducation religieuse dans les familles, 5 % serait due à la hausse du niveau d’éducation, et Internet en serait responsable à 20 %. L’utilisation d’Internet diminuerait les chances de développer une appartenance religieuse, en plus d’accroître chez les personnes déjà croyantes le risque de se détacher de leur religion. Si les hypothèses présentées partagent un lien de corrélation avec la diminution des croyances religieuses observée chez l’individu, elles n’impliquent pas nécessairement un lien de causalité et il demeure difficile de cerner précisément les raisons d’un tel phénomène social.

Internet met à la disposition de ses utilisateurs une véritable encyclopédie. Ces utilisateurs, qu’ils y soient préparés ou non, se voient confrontés à une multitude de faits, de nouvelles et de données. Or, il est parfois ardu de distinguer le vrai du faux, comme le suggère la croissance récente en nombre et en popularité des « fausses nouvelles ». Les résultats produits par un moteur de recherches ne sont pas aléatoires, les premiers sites qui apparaissent comme résultat d’une recherche sur une religion quelconque sont plus souvent négatifs que positifs. Ainsi, un croyant qui doute de sa propre religion entrera facilement en contact par Internet avec d’autres personnes qui vivent la même situation. La liberté d’expression que permettent les médias sociaux donne aussi l’opportunité à des individus de s’exprimer publiquement sur un sujet et sans filtrage.

Autre argument simple, mais pertinent : chaque heure passée sur Internet est une heure qu’on ne consacre pas à d’autres activités. S’il est vrai qu’une pratique religieuse a besoin, pour se développer et durer, d’un certain temps, voire d’une routine, on peut supposer que le fait de passer sur la Toile un temps démesuré signifie indirectement que l’on rogne sur une période qui pourrait être réservée à la religion.

D’autres recherches tendent au contraire à montrer que ces nouveaux moyens de communication rejoignent des générations plus jeunes, peu susceptibles d’entrer autrement en contact avec des mouvements religieux. La présence de chefs religieux sur les réseaux sociaux, notamment celle du pape François qui appelle les chrétiens à aller vers les périphéries, milite dans le même sens.
Malgré cette accessibilité, le contrôle institutionnel sur le contenu des échanges sur les réseaux sociaux et sur les types de questions utilisées dans les recherches sur le Web reste impossible. On assiste donc à une transformation de l’affiliation traditionnelle dans le sens d’une « exploration religieuse » orientée par les algorithmes des moteurs de recherche. Résultat : en 2004, l’Église de Jésus-Christ des Saints des derniers jours a dû mettre fin à la pratique de garder le secret sur le port de sous-vêtements sacrés par les fidèles, parce que quelqu’un avait mis de ces sous-vêtements en vente sur… eBay ! Toujours dans la même Église, on observait dernièrement qu’Internet créait plus d’apostats que de convertis, ce qui a incité les autorités à émettre une mise en garde à l’intention de ses membres.

Récemment, plusieurs organisations religieuses ont dénoncé la distraction que représentait l’utilisation des tablettes et des téléphones cellulaires lors des offices. Mais une menace encore plus grande semble menacer l’autorité religieuse elle-même. À titre d’exemple, la nouvelle application mobile Confession permet de faire la liste de tous vos péchés et de les effacer d’un seul clic. Comme si le virtuel prenait le contrôle du spirituel ! On peut avoir l’impression que l’ordinateur met la religion à l’ordre ! À quand la communion des saints via Skype ou l’élection d’un pape sur SurveyMonkey ?

Pour en savoir plus :

Religion word button on keyboard with soft focus

 

 

 

 

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