Lorsqu’un et un font Dieu !

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Le 10 février 2017, la maison de sondage CROP présentait ainsi les résultats de l’une de ses recherches : « un des sondages de notre équipe nous a permis d’observer que 40 % des Canadiens croient davantage à la version de la Bible où Dieu créa la terre et la vie en six jours qu’aux théories évolutionnistes de Darwin et autres ». Croiriez-vous que cet intérêt soudain des Canadiens pour le créationnisme puisse être lié à la façon dont l’enquête a été menée ?

La formulation de la question pourrait en effet être un des facteurs expliquant ce surprenant résultat. Voici comment cette question a été formulée :

« Depuis quelques années, on assiste à un débat sur l’origine de la vie et même de la terre. Certains croient que la terre et la vie sur terre furent créées par Dieu (ou votre notion de « dieu » si vous n’êtes pas de religion chrétienne) en quelques jours, selon ce qui est enseigné par la bible ou d’autres textes religieux. D’autres croient plutôt que la terre existe depuis des milliards d’années et que la vie y est apparue sous forme de cellules et a évolué jusqu’à nous. Lequel des deux points de vue êtes-vous le plus porté(e) à croire ? »

Si l’on regarde la formulation de la première partie de la question, on y discerne un problème majeur. Le « créationnisme » dont il est ici question est restreint à l’une des conceptions possibles. À titre d’exemple, les Témoins de Jéhovah qui croient que le monde a été créé par Dieu, mais pas en six jours terrestres, ne peuvent qu’hésiter à répondre à cette question. D’autres créationnistes adhèrent à la théorie du Big Bang et croient que Dieu est présent dans la source d’énergie qui fut libérée par l’explosion primordiale. Pour ces créationnistes, la structuration de la matière est le résultat d’un dessein intelligent planifié par Dieu. Encore ici, ces personnes ne peuvent s’identifier à aucun des points de vue présentés. Et il y a ceux qui acceptent la création par Dieu, mais lui donnent un sens symbolique ou l’interprètent comme une façon mythique de signifier que Dieu est l’ultime responsable de toute vie. On peut donc supposer que la formulation de la question est susceptible d’influencer les réponses. Une autre raison pouvant expliquer des résultats si élevés est qu’on a peut-être oublié que les sondages mesurent une réponse à une question donnée, et non la réalité des croyances de la population visée.

Les recherches sur les croyances religieuses nous ont appris que le concept même de croyance est fort complexe. La maison de sondage CROP, tout comme plusieurs personnes d’ailleurs, présente la croyance comme un choix précis entre deux pôles exclusifs. La réalité est tout autre. Dans God from the Machine, William Sims Bainbridge, sociologue et directeur du Science and Engineering Information Integration and Informatics Program à la National Science Foundation des États-Unis, a utilisé des simulations informatiques d’intelligence artificielle pour modéliser la croyance. Bainbridge a fait la démonstration que la croyance répond mal à un modèle dichotomique du type « vrai ou faux », mais à des probabilités d’agir qui varient à l’intérieur d’une myriade de combinaisons d’idées particulières. Au lieu de croire à un dogme en particulier, les gens ont des sentiments qui varient du positif au négatif face à un ensemble de doctrines en fonction d’une situation concrète vécue à un moment donné. C’est ainsi que, dans certaines enquêtes, on a pu recueillir des propos apparemment contradictoires du type « J’y crois lorsque j’écoute X-Files » ou « Je ne crois pas aux fantômes, mais j’en ai peur ». Face à une question complexe ou embrouillée, au lieu de s’enfermer entre deux pôles rigides, les gens ont parfois tendance à utiliser la boutade. À titre d’exemple, lors du recensement de 1991, pour dire au gouvernement du Royaume-Uni que la question d’appartenance religieuse leur semblait une intrusion dans la vie privée, des répondants se sont inventé comme religion le Jediisme (de Jedi de la série Star Wars). Et si les « créationnistes » canadiens n’avaient dit oui que pour se débarrasser de la question… On peut ajouter que les attentes sociales ont peut-être également joué un rôle.

Malgré des chiffres qui remettent en question toutes les enquêtes sur les croyances au Canada, étonnamment, l’analyse des résultats sur le blogue de la maison de sondage exprime une opinion négative face aux croyances religieuses que partage une bonne partie de la population :

« De tels résultats nous laissent certainement pantois ! […] Ces individus se sentent dépassés par le monde dans lequel on vit. Ils y perçoivent des menaces personnelles, ainsi qu’une perte de repères. […] Je crois sincèrement que des ponts devront être faits avec ces populations en difficulté d’adaptation. »

Pourtant, plusieurs recherches ont montré que la croyance n’est pas le signe d’une difficulté de socialisation, ou ne marque pas nécessairement qu’une étape dans la vie, mais fait plutôt partie d’une quête d’identité et est l’expression d’un certain niveau de participation sociale. L’ancien premier ministre du Québec, Jacques Parizeau, aimait souvent dire que « les statistiques sont aux économistes ce que le lampadaire est à l’ivrogne, elles servent davantage à appuyer qu’à éclairer ». Et si c’était aussi le cas de cette analyse ? Les résultats du sondage pourraient être dus à la forme du sondage et à la façon dont celui-ci a été reçu. Si l’on dit que le diable est dans les détails, les sondages signifient parfois que Dieu adore le flou !

Pour en savoir plus :

  • Giguère, Alain, « 40 % des Canadiens croient que la vie sur Terre a été créée en 6 jours (Le préambule idéal pour l’introduction de l’Or du Rhin de Wagner!) », 10 février 2017, http://www.crop.ca/fr/blog/2017/137/, consulté le 23 février 2017.
  • Bainbridge, William Sims, God from the Machine: Artificial Intelligence Models of Religious Cognition, Cognitive Science of Religion Series, Lanham, MD, AltaMira Press, 2006.

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Source de la photo :
http://tpe.madmagz.com/fr/wp-content/uploads/2013/12/image-sondage.jpg

 

 

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