André Couture, Université Laval, créé en septembre 2021 et révisé en septembre 2024
Résumé : Navarâtri forme un cycle de neuf jours qui se clôture le dixième jour par une célébration de la victoire de la déesse Durgâ. Cette fête, qui se déroule en octobre du calendrier grégorien, est l’une des plus populaires du calendrier hindou.
La fête que l’on nomme Navarâtri (« Neuf nuits ») se termine en fait le dixième jour par une célébration de la victoire de la déesse sur ses ennemis. Cette journée complémentaire se nomme justement Vijayadashamî, le dixième jour (dashamî) de la victoire (vijaya), soit le dixième jour de la quinzaine claire du mois d’âshvina (septembre-octobre du calendrier grégorien). On y accomplit un rite d’offrande (pûjâ) à la déesse Durgâ, et c’est pourquoi cette célébration est aussi connue sous le nom de Durgâpûjâ (offrande à Durgâ). C’est cette même fête que l’on nomme souvent Dashaharâ (un mot que l’on trouve écrit Dassehra, Dussehra, Dussahra, Dasarâ). Dasha-harâ, « celle qui enlève les dix (fautes) », est en réalité un nom de la déesse Gangâ, devenue un nom populaire de Durgâ. Si l’on ajoute à cette Vijayadashamî ou Durgapûjâ les neuf journées de préparation que constitue le cycle de Navarâtri, cela veut dire que cette période de célébration s’étend sur dix jours lunaires. En raison de réaménagements récents du calendrier, cette fête se célèbre généralement en octobre du calendrier grégorien. En cette année 2024, elle commence le 3 octobre et culmine avec la victoire de Durgâ le 12 octobre. La déesse Durgâ se fête aussi au printemps, soit pendant le mois de mars-avril, mais c’est la célébration de l’automne qui est la plus propice et la plus populaire.
Durgâ, c’est littéralement l’invincible. On la nomme ainsi parce qu’est a jadis écrasé le démon buffle (mahishâsura-mardinî). Il s’agit d’une fête immensément populaire dans toute l’Inde de même que dans la diaspora indienne tant en Europe qu’en Amérique, mais c’est à Kolkata (Calcutta) qu’elle se célèbre avec le plus de faste. Ce sont les festivités qui ont lieu dans cette région qui sont les plus connues et les mieux décrites. Durgâ est représentée avec dix bras dont huit brandissent des armes terribles. Elle chevauche un tigre et on la voit en train de transpercer le démon buffle de sa lance. Cette déesse se présente aussi aux humains sous diverses formes qui sont autant d’aspects de son pouvoir (shakti). Bien que ce soit toujours cette même déesse Durgâ que l’on vénère pendant toutes ces journées, à chacune des neuf premières journées de cette fête, on la célèbre souvent sous des noms spécifiques et avec des couleurs particulières.
À cette occasion, on érige en l’honneur de la déesse des pandâl-s, des tentes avec structures de bambous que l’on décore de tissus multicolores, et qui accueillent pendant ces journées des effigies de la déesse. On dit de certains de ces pandâls que ce sont en fait des temples miniatures provisoires qui rivalisent d’imagination pour rendre l’image la plus vivante possible : il arrive dans certains cas que l’on utilise à cet effet des technologies modernes de cinéma ou même des robots mécanisés. Les citadins profitent des journées de congé prévues annuellement à cette occasion pour rendre hommage à cette grande déesse de toutes les façons possibles. Outre les traditionnelles pûjâ, qui comprennent des offrandes d’encens, de guirlandes de fleurs, de vêtements, de nourriture, de lumière et de chants en son honneur, une des façons courantes de rendre hommage à Durgâ est de réciter le Devî Mâhâtmya (Glorification de la déesse), aussi appelé Devî-saptashatî (Collection de sept cents versets en l’honneur de la déesse), ou Candî-pâtha (Lecture en l’honneur de la déesse Chandî). Il s’agit d’un texte tiré du Mârkandeya Purâna, qui peut dater des Ve-VIe siècles de notre ère, mais qui a toujours été tenu en haute estime par les dévots de la déesse[1]. C’est le sixième jour que l’image de la déesse, façonnée en glaise par des potiers, est transportée en son lieu de culte pour être « éveillée » par le prêtre qui procède alors à un rituel complexe. Sur certaines de ces images, Durgâ est flanquée de Lakshmî, déesse de la prospérité, de Sarasvatî, déesse du savoir, et de ses deux fils Ganesh et Kârttikeya. Considérée après cet éveil comme vivante par ses dévots, l’image est vénérée par tous pendant les jours suivants et comblée d’offrandes.
De nos jours, la fête peut prendre une dimension séculière et les politiciens entendent souvent profiter de ces rassemblements pour rappeler leur message. Le neuvième jour, la tradition voulait que l’on procède au sacrifice d’un buffle, ce qui est officiellement interdit depuis 1947. On lui substitue plutôt un bouc, ou encore une grosse courge que l’on pourfend symboliquement, les fidèles étant convaincus que la déesse saura comprendre… La fête se clôt le dixième jour lorsque les dévots reconduisent l’image de glaise dans les eaux d’un cours d’eau où elle est immergée et restituée au limon de la rivière. Sous la pression des groupes écologistes qui ont vigoureusement protesté au début des années 2000 contre la pollution engendrée par les peintures au plomb qui recouvraient jusque-là les effigies que l’on retournait au fleuve, les potiers du Bengale (région du nord-est) utilisent de plus en plus des peintures sans plomb, quitte à hausser considérablement le prix de leur travail. C’est en même temps souvent la journée où l’on célèbre Saravastî en tant que déesse du savoir. On en profite pour enseigner aux enfants à tracer quelques lettres et donc à leur donner un premier cours d’écriture. De plus, on implore la bénédiction de cette grande déesse entre autres sur les cahiers, les crayons, les livres, les instruments de musique.
Alors que la Vijayadashamî commémore la victoire de la déesse sur le démon buffle, également sur les démons Shumbha et Nishumbha, vaincus par la déesse à la même occasion, il arrive que les légendes expliquant l’origine de cette fête fassent le lien avec le règne de Râma et avec le long âge d’or que ce dieu instaure. C’est le cas dans plusieurs régions du nord, de même que dans le sud. Au Népal, par exemple, on raconte qu’au cours de la bataille qui a mené à la victoire de Râma sur Râvana, Brahmâ serait intervenu pour enjoindre la déesse de seconder Râma. Elle serait restée cachée pendant les huit premiers jours, n’intervenant en sa faveur que le neuvième jour. On raconte aussi que Râma, impuissant à venir à bout des dix têtes de Râvana qui repoussaient à mesure qu’on les coupait, aurait alors imploré la déesse avec succès. Celle-ci l’aurait exaucé le jour même du sacrifice du buffle. Le jour suivant, Râma serait reparti victorieux à sa capitale d’Ayodhyâ. Le fait que Râma soit le roi idéal, celui qui garantit la victoire totale sur les démons, semble une raison suffisante pour que s’établisse spontanément un rapport avec cette déesse qui garantit le triomphe d’un tel roi. La déesse Durgâ est omnipuissante pour ses dévots et les histoires que l’on raconte à son sujet varient avec les régions. Il est en particulier toujours possible que la Vijayadashamî prépare en fait la célébration de la somptueuse fête de Dîvâlî qui sera célébrée quelques jours plus tard[2].
Pour en savoir davantage :
Autour de la déesse hindoue, études réunies par Madeleine Biardeau, coll. « Puruṣārtha », no 5, Paris, Éditions de l’École des Hautes Études en Sciences Sociale, 1981 [en particulier les études de Gérard Toffin et de Madeleine Biardeau].
Bahadur, Om Lata, The Book of Hindu Festivals and Ceremonies, New Delhi, UBSPD, 1997 (Second Revised and Enlarged Edition), p. 158-185.
« Les ‟neuf nuits” (Navarātri) de glorification de la déesse (Kolkata) », dans Rites. Fêtes et célébrations de l’humanité, Thierry-Marie Courau et Henri de La Hougue (dir.), Paris, Éd. Bayard, 2012, p. 519-524.
[1] Il a été traduit en français sous le titre de Célébration de la Grande Déesse (Devî-Mâhâtmya) par Jean Varenne (Paris, Les Belles Lettres, 1975).
[2] On se reportera à la fiche sur Dîvâlî : : https://croir.ulaval.ca/nouvelle/divali-ou-la-fete-hindoue-des-lumieres/