Plus de science, moins de subjectivité?

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C’est devenu un lieu commun que d’entendre que science et religion sont incompatibles, voire même en conflit. En février 2020, un texte d’opinion paru dans le journal Le Devoir tirait cette conclusion : « Décidément, et contrairement à ce que les anecdotes colportées sur les quelques savants croyants en Dieu laissent entendre, les enquêtes statistiques fondées sur des échantillons représentatifs montrent clairement que sciences et religions ne font pas naturellement bon ménage ». Croiriez-vous que nous sommes ici en présence d’une croyance plus que d’un fait scientifique? En effet, une enquête internationale réalisée il y a quelques années et dont les résultats ont été publiés en 2019 contredit cette opinion. Regardons de plus près ce que la science a à nous dire sur cette question!

Que pensent les scientifiques de la religion? Pour répondre à cette question, sept spécialistes épaulés de plus de cent chercheurs ont mené une étude internationale, la plus complète jamais réalisée sur les attitudes des scientifiques à l’égard de la religion. Ils ont interrogé plus de 20 000 scientifiques et mené des entretiens approfondis avec plus de 600 d’entre eux. Les scientifiques interrogés étaient des physiciens et des biologistes travaillant en Angleterre, aux États-Unis, en France, à Hong Kong, en Inde, en Italie, à Taïwan et en Turquie. Ces pays avaient été choisis parce qu’ils avaient tous de solides infrastructures scientifiques en physique et en biologie et en plus ils représentaient un éventail intéressant de la diversité des attitudes sociales et politiques face au religieux. On avait ciblé les physiciens et les biologistes, car ce sont des disciplines considérées parmi les plus prestigieuses dans le monde scientifique et ce sont aussi des disciplines qui sont présentes dans la plupart des pays et des universités. Autre justification de ce choix, ce sont des disciplines qui proposent des théories sur les origines de l’univers et sur les origines de l’être humain qui semblent être en conflit avec une vision religieuse du monde.

Une première surprise attendait ces chercheurs. Pour la majorité des répondants, le supposé conflit entre la science et la religion était une chose déjà réglée et ils se demandaient si une telle recherche en valait vraiment la peine. À la question posée sur le type de rapport qu’entretiennent la science et la religion, les scientifiques avaient les choix suivants : un conflit; des magistères qui ne se recouvrent pas (position de Stephen Jay Gould qui prône le respect mutuel, sans empiètement, entre la science et la religion); une collaboration; ou aucun de ces choix. Quels furent donc les résultats de l’enquête?

Aux États-Unis, 29 % ont répondu qu’il y avait un conflit et 51 % partageaient la vision de Gould. En Angleterre, qui représentait le milieu le plus sécularisé, mais où la religion est la plus visible (l’Église d’Angleterre), 43 % des scientifiques se déclaraient athées et 25 % agnostiques. C’est le pays où on a retrouvé le plus fort taux d’adhésion à la thèse du conflit avec 35 %. Curieusement, parmi ces scientifiques, Richard Dawkins, lui-même un scientifique qui se fait l’apôtre de l’intolérance face au religieux, ne fait pas l’unanimité, certains le voyant même comme un fondamentaliste athée. En France, pays de la laïcité, 26 % des scientifiques ont choisi le conflit tandis que les deux tiers ont considéré que ces magistères ne se recouvraient pas.

En Italie, pays où le catholicisme domine, 58 % des scientifiques s’identifient comme catholiques. Les deux tiers voient la religion et la science comme des domaines différents et 20 % seulement parlent de conflit. Autre pays fortement religieux, la Turquie, seul pays musulman de l’enquête. On y compte 61 % de scientifiques qui croient en l’existence de Dieu et 6 % qui se définissent comme athées. C’est dans ce pays que l’on retrouve le plus faible taux de perception d’un conflit et le plus fort taux de perception d’une collaboration entre la science et de religion. En Inde, 44 % des scientifiques voient la science et la religion comme des champs indépendants, c’est le pays où l’on retrouve le plus de superposition entre la science et la religion, les auteurs donnant des exemples de récitation de prières avant le lancement d’une fusée ou au début d’un congrès scientifique.

À Hong Kong et Taiwan, l’idée d’un conflit entre science et religion recueille un des taux les plus bas et un des plus hauts pour la conception selon laquelle ces magistères ne se recouvrent pas. Chose surprenante, 40 % des scientifiques se considèrent comme religieux, comparativement à 20 % pour l’ensemble de la population. Ce phénomène pourrait s’expliquer par le fait que l’enseignement supérieur est donné principalement par des institutions religieuses catholiques et qu’il existe dans ces régions une certaine fluidité dans les rapports entre science et religion.

Les conclusions de cette recherche sont donc les suivantes : il y a plus de scientifiques religieux que nous ne le pensons. À titre d’exemple, en Italie, en Turquie, en Inde et à Taiwan, la majorité des scientifiques s’identifient à une tradition religieuse; la religion et la science se chevauchent dans les travaux scientifiques; les scientifiques, et même les scientifiques athées, voient de la spiritualité dans la science. Enfin, l’idée que la religion et la science doivent être en conflit est avant tout une invention de certains athées scientifiques occidentaux très médiatisés, tel Richard Dawkins. La preuve d’une telle conclusion, c’est que la moitié des scientifiques athées interrogés ne voient pas de conflit entre la science et la religion. Cette recherche nous offre donc une nouvelle compréhension plus nuancée de la façon dont la science et la religion interagissent et comment elles peuvent s’intégrer en vue du bien commun. En conclusion de leur étude, les auteurs affirment que la thèse voulant que sciences et religions ne fassent pas naturellement bon ménage est un stéréotype non fondé, somme toute une autre croyance. Un peu plus de science, pour un peu moins de subjectivité!

Pour en savoir plus :

  • Elaine Howard Ecklund, David Johnson, Brandon Vaidyanathan, Kirstin Matthews, Steven Lewis, Robert Thomson Jr, and Di Di, Secularity and Science: What Scientists Around the World Really Think About Religion, Oxford University Press, 2019.
  • Kristoff Talin et Yves Gingras, « Plus de religion, moins de science », Le Devoir, 26 février 2020, p. A9.

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